30%
des femmes ayant accouché entre 2022 et 2024 déclarent qu’il y a eu un problème pendant leur accouchement et 50% ont ressenti une dégradation de leur santé mentale. (1)
x16
Le risque d’hospitalisation en psychiatrie le premier mois du post-partum est multiplié par 16, et dans les deux ans qui suivent l’accouchement par 1,6. (2)
1ère cause
Les suicides sont la première cause de décès maternels pendant la première année suivant l'accouchement. (3)
Femme enceinte allongé

La fragilité exceptionnelle de la période périnatale

Des modifications neurologiques

Des chercheurs de l’université d’Amsterdam4 ont observé les transformations de la matière grise chez des femmes avant et après leur grossesse, jusqu’à deux ans après l’accouchement. Ils ont mis en évidence des modifications notables concernant notamment une zone impliquée dans la cognition sociale, essentielle pour comprendre les émotions et intentions d’autrui. Durant la période périnatale, le cerveau devient naturellement plus sensible, ce qui permet aux mères d’être davantage réceptives aux besoins de leur bébé et de mieux s’en occuper. Selon la pédopsychiatre Anne-Laure Sutter5, le revers de la médaille est que ces réorganisations cérébrales contribuent à la vulnérabilité psychique des mères, en particulier après l’accouchement, favorisant en grande partie la dépression post-partum.

 

Une étude récente menée par Santé Publique France révèle que parmi 7 133 femmes ayant accouché en France en mars 2021, 5,4 % ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires. Ce chiffre grimpe à 23,8 % chez celles qui ont également signalé souffrir de dépression post-partum, soit près d'un quart des mères étudiées3

 

Une parenthèse de vulnérabilité psychique

Chute hormonale, bouleversement des rythmes, fatigue intense et réajustement psychique à la parentalité : la période qui suit l’accouchement est fréquemment éprouvante, comme le souligne Marianne Jacques, sage-femme et chercheuse en santé publique à l’INSERM6, qui rappelle qu’environ 15 % des femmes manifestent des signes de dépression et ce parfois dès la grossesse. Dans de nombreuses cultures traditionnelles, cette phase délicate est pleinement reconnue et fait l’objet d’un accompagnement collectif, avec un soutien fort entre femmes, souligne le psychiatre Jacques Dayan7. En revanche, dans les pays occidentaux, l’attention portée à la santé mentale des mères reste insuffisante. Les difficultés psychiques sont souvent mal interprétées, confondues à tort avec des problèmes sociaux, ce qui retarde les diagnostics et prive de nombreuses mères d’un soutien thérapeutique efficace. Si les pays anglo-saxons ont reconnu assez tôt l’ampleur du phénomène, d’autres, comme ceux d’Europe du Sud, ont longtemps occulté cette réalité, persuadés qu’une mère devait nécessairement se sentir comblée à la naissance de son enfant.

 

La banalité de l’événement de la naissance tue un peu la complexité des processus psychiques qui l’accompagnent.8 

Geneviève DELAISI DE PARSEVAL Psychanalyste

Mère dans les bras d'une personne qui travaille dans le médical

Les soins aux mères, entre soutien et défaillance

Qu’appelle-t-on soins inappropriés ?

Il n’y a pas vraiment de consensus pour définir ce que sont les soins appelés inappropriés ou irrespectueux. C’est un peu une zone grise, définit Marianne Jacques, sage-femme et chercheuse à l’INSERM6, où s’entremêlent les attentes et les valeurs de chaque personne, même s’il existe des actes et des comportements face auxquels tout le monde est à peu près d’accord pour dire que c’est inapproprié. Ainsi sous l’étiquette de soins inappropriés, on retrouve les violences physiques, sexuelles, morales, mais aussi des violences plus insidieuses comme ne pas respecter les préférences des femmes, exercer des pressions, être brusque, ne pas être assez présent ou soutenant, ne pas suffisamment prendre en compte la douleur, etc.  

Il est possible de retenir la définition qui a été choisie dans l’enquête nationale périnatale de 20219, qui a interrogé, pour la première fois sur ce sujet-là, toutes les femmes ayant accouché en France pendant une semaine en mars 2021 : « de la part d’un professionnel de santé, les paroles, les gestes ou les attitudes qui ont choqué, qui ont blessé ou qui ont mis mal à l'aise. » Les résultats sont les suivants : 12 % des femmes ont rapporté des paroles inappropriées de la part des soignants, près de 7 % des gestes inappropriés et plus de 10 % des attitudes inappropriées. Ces soins inappropriés sont survenus lors du suivi de grossesse, à l’accouchement ou durant le séjour à la maternité (47,2 %). À noter que cette enquête a été réalisée en pleine période d’épidémie de Covid. Il sera intéressant de comparer ces chiffres avec ceux de la prochaine enquête. 

En attendant, une nouvelle étude nationale vient confirmer la tendance : ¼ des femmes interrogées ont déclaré avoir ressenti un manque de respect lors de l’accouchement et/ou du séjour post-partum. Les auteures préconisent une sensibilisation accrue de tous les professionnels de santé aux soins respectueux et une attention particulière portée aux femmes les plus vulnérables : les nullipares, celles ayant eu des antécédents psychiatriques ou une détresse psychologique prénatale, et celles ayant eu un accouchement compliqué17.

 

Fort heureusement, les soignants sont très exceptionnellement volontairement maltraitants. Globalement, les soignants veulent bien faire. Cependant, le manque de formation initiale ou continue fait que des comportements non appropriés perdurent. Parfois la charge et les conditions de travail maltraitantes pour les soignants eux-mêmes empêchent leur pleine disponibilité. Dans tous les cas, les soignants restent des humains, pour qui cela peut être difficile de trouver le bon ton ou d’être en lien. Mais quand on y parvient, c’est une expérience formidable pour tout le monde !

Marianne Jacques Marianne JACQUES Sage-femme et chercheuse en santé publique à l’INSERM

 

Les conséquences des soins inappropriés

Marianne Jacques, sage-femme et chercheuse en santé publique à l’INSERM6, remarque que lorsque l’on interroge les femmes, la prévalence des soins irrespectueux augmente avec le délai par rapport à l’accouchement, confirmant qu’il faut du temps pour intégrer un événement traumatique. Même si la maman et le bébé semblent aller bien à la sortie de la maternité, les expériences négatives vécues autour de l’accouchement peuvent avoir des conséquences à long terme sur la santé mentale de la mère, ses relations avec son entourage et son bébé. D’ailleurs Marianne Jacques a consacré sa thèse sur les liens entre dépression du post-partum et soins irrespectueux en maternité10. La grande vulnérabilité psychique durant la période périnatale laissait à penser que les événements stressants au cours de l’accouchement pourraient donc être impliqués dans la survenue d’une dépression du post-partum, en particulier l’exposition à des paroles, gestes ou attitudes inappropriés de la part des soignants, ou encore l’absence de recueil de consentement avant la réalisation d’actes médicaux. Grâce au croisement de plusieurs recueils de données, on observe une augmentation de 5% du taux de dépression du post-partum chez les femmes qui ont déclaré avoir été confrontées à des soins inappropriés.

 

La dépression est une maladie multi-factorielle, qui résulte de la combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. Les événements de vie stressants constituent un de ses principaux facteurs de risque. Malheureusement, beaucoup de ces facteurs ne sont pas vraiment modifiables. Toutefois, si l’attitude, les paroles et les gestes du personnel soignant envers les femmes peuvent contribuer, même modestement, à prévenir certains cas de dépression post-partum, il est essentiel de s’emparer de ce levier ! 6

Marianne Jacques Marianne JACQUES Sage-femme et chercheuse en santé publique à l’INSERM

 

Les ressentis banalisés ou négligés

Le séjour en maternité est vécu avec frustration par de nombreuses femmes. Par exemple, dans le cadre d’une convention avec Santé Publique France, le CIANE (Collectif Interassociatif Autour de la Naissance) a initié un questionnaire dont les réponses permettent de proposer des pistes de compréhension et d’amélioration11.

Les témoignages révèlent un déséquilibre dans l’attention portée par les équipes soignantes : si le poids du bébé fait l’objet d’un suivi rigoureux, l’état psychologique de la mère est largement négligé. Ainsi, 50 % des femmes déclarent ne pas avoir reçu l’écoute nécessaire concernant leur état émotionnel. Par ailleurs, la séparation avec le partenaire renforce le sentiment d’isolement durant cette période sensible. La moitié des mères interrogées n'ont pas eu l’occasion de parler de leur accouchement avec l’équipe médicale, alors qu’elles estiment que cet échange aurait été bénéfique. Enfin, 42 % des multipares considèrent qu’une rencontre avec un psychologue en maternité aurait été utile.

 

Concrètement, nous constatons qu’il n’y a pas d’espace systématique de parole libre et précoce dans le post-partum, que le regard médical et sociétal ne permet pas aux femmes d’exprimer clairement l’expérience d’un accouchement mal vécu, surtout lorsque l’enfant va bien, que les violences gynécologiques et obstétricales sont bien réelles mais banalisées. (…) Les jeunes mères, très tôt après leur accouchement, semblent avoir besoin de libérer leur vécu mais peinent à trouver la bonne personne12.

Mélina ROUSSEL et Nathalie DE TIMMERMAN Psychologues cliniciennes

Bébé qui pleure dans les bras de sa mère

Des soins périnataux qui favorisent le bien-être

Des balises pour une expérience positive

La compagnie d’une personne de son choix, la possibilité de bouger pendant l’accouchement, des options pour soulager la douleur… en 56 items, l’OMS recommande des soins intrapartum qui favorisent une expérience positive de l’accouchement13. Cette expérience positive se définit comme remplissant ou dépassant les attentes et croyances sociales, culturelles et personnelles existantes d’une femme, ce qui inclut l’accouchement d’un enfant en bonne santé dans un environnement clinique et psychologique sûr avec le soutien pratique et émotionnel continu d’un ou de plusieurs compagnons d’accouchement et de personnel clinique bienveillant et compétent sur le plan technique. Il est basé sur le postulat que la plupart des femmes désirent un accouchement et une naissance physiologiques, ainsi qu’un sentiment de réalisation personnelle et de contrôle avec la participation à la prise de décision, même lorsque des interventions médicales sont nécessaires ou souhaitées. 

 

L’accouchement est un événement fondateur dans la vie d’une femme, en particulier sur le plan psychique. Participer aux décisions, avoir un sentiment d’accomplissement et de contrôle personnel… tout cela aide à vivre son accouchement de manière positive, même s’il y a des imprévus et des difficultés, et joue sur la confiance dans ses capacités à être mère et dans la confiance dans le système de santé6.

Marianne Jacques Marianne JACQUES Sage-femme et chercheuse en santé publique à l’INSERM

 

La notion de consentement au cœur des soins

Dans différents pays, des structures associatives, comme Think Natal14 en Australie, s’intéressent à promouvoir la notion de consentement, persuadées que subir accentue le ressenti d’expérience négative et la marque du traumatisme. Le consentement éclairé, pilier fondamental dans la relation entre soignants et patients, repose sur une information claire, accessible et complète : chaque option de soin doit être expliquée, en incluant les bénéfices, les risques et les conséquences possibles. Les parents doivent pouvoir poser librement leurs questions et recevoir des réponses précises. Les décisions doivent se faire sans pression, dans un climat de respect, où les préférences personnelles et les habitudes culturelles sont prises en compte. Ce processus nécessite une communication continue : être informée à chaque étape permet à la maman, pendant l’accouchement, de rester actrice de ses choix. Ce respect du consentement influence directement le vécu de l’accouchement et le lien à l’enfant.

 

Guide juridique pour connaître ses droits pendant le suivi de grossesse et l’accouchement 

 

D’après un sondage, les femmes ayant accouché entre 2022 et 2024 sont 28% à avoir des regrets concernant leur accouchement (lieu, conditions, prise en charge par les équipes, projet de naissance…)1

 

Le concept d’empowerment autour de la naissance

L’empowerment, explique Anne Leroy, sage-femme15, consiste déjà à aider la femme à reconnaître ses propres besoins. Quand ils sont identifiés les besoins sont plus faciles à être entendus et respectés. C’est d’autant plus important lors des naissances qui ne sont pas physiologiques, qui sont différentes de ce qui avait été imaginé, parfois dans l’urgence, lors d’une césarienne par exemple, pour que la femme reste connectée à ce qui se passe dans son corps, à ses capacités à engendrer et aux capacités à naître propres à son bébé. Par ailleurs, Marianne Jacques, sage-femme et chercheuse à l’INSERM6, précise qu’il est nécessaire de casser l’asymétrie qui peut s’installer entre une mère et l’équipe soignante, entre celle qui accouche et ceux qui ont l’expérience de ces moments-là. Il faut redonner à la mère une place centrale, de décision pour elle et son enfant, car il ne faut pas oublier que quelques jours plus tard seulement, elle sera à la maison, seule à décider pour elle et son nouveau-né. 

 

Selon l’OMS, obtenir les meilleures issues possibles sur les plans physique, affectif et psychologique pour la femme et son enfant suppose un modèle de soins dans lequel les systèmes de santé accordent aux femmes plus de pouvoir de décision.16

Sources

1https://www.senat.fr/fileadmin/Structures_temporaires/missions_d_information_communes/MI_Sante-perinatale_/Synthese_Sondage_CSA_Sante_perinatale_pour_le_Senat.pdf
2https://shs.cairn.info/bebe-attentif-cherche-adultes-attentionnes--9782749262130-page-495?lang=fr
3https://www.psychologies.com/moi/problemes-psy/deprime-depression/Un-quart-des-meres-qui-souffrent-de-depression-post-partum-ont-des-pensees-suicidaires
4https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/04/14/apres-l-accouchement-le-cerveau-des-femmes-n-est-plus-tout-a-fait-le-meme_6169513_1650684.html
5https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/50898-Depression-post-partum-changements-cerebraux-pourraient-l-expliquer?utm_source=chatgpt.com
6Entretien réalisé pour les Laboratoires Expanscience en mai 2025 avec Marianne JACQUES, Sage-femme et chercheuse en santé publique à l’INSERM
7https://shs.cairn.info/les-depressions-post-partum--9782715413306-page-69?lang=fr
8https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-tete-au-carre/comprendre-et-prevenir-les-troubles-du-post-partum-2964727
9https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/enquete-nationale-perinatale-2021
10https://www.fondationmustela.com/fr/prix-et-bourses/bourse-de-recherche-en-maieutique/2022-marianne-jacques
11https://ciane.net/2022/09/les-femmes-enceintes-face-au-systeme-de-soins/
12https://shs.cairn.info/revue-dialogue-2022-4-page-159?lang=fr
13https://iris.who.int/bitstream/handle/10665/272434/WHO-RHR-18.12-fre.pdf
14https://birthtrauma.org.au/thinknatal/
15https://www.youtube.com/watch?v=VL4v-pXjRYw
16https://www.who.int/fr/news/item/15-02-2018-individualized-supportive-care-key-to-positive-childbirth-experience-says-who
17https://www.researchgate.net/publication/391523627_Frequency_and_determinants_of_words_gestures_and_attitudes_experienced_as_disrespectful_during_childbirth_and_postpartum_A_national_population-based_study