Effets du bruit des avions et des sons naturels sur l’attention sociale et les vocalisations du jeune enfant en crèche

Des bruits d’avion aux sons naturels, « l’écologie sonore » et le développement du tout-petit 

Les effets d’une exposition chronique au bruit urbain ont été peu étudiés à ce jour chez le jeune enfant : quel stress induit-elle ? avec quelles répercussions sur son attention à l’autre et sur ses capacités d’expression orale ? Les bébés qui sont exposés à un bruit citadin constant se développent-ils de manière différente de ceux qui, en zone rurale, jouissent d’une plus grande tranquillité ? Voici les questions au cœur de la recherche-action proposée par Maya Gratier, directrice adjointe du Laboratoire Éthologie, cognition, développement (LECD) de l’université Paris-Nanterre et trois autres chercheuses du même laboratoire : « Effets du bruit des avions et des sons naturels sur l’attention sociale et les vocalisations du jeune enfant en crèche ». 

Pour répondre à ces questions, l’équipe comparera l’attention sociale et les vocalisations d’enfants de quatre crèches, deux étant situées dans le couloir aérien de l’aéroport de Roissy, les deux autres dans des zones plus calmes. Ce projet est coconstruit  avec les Affaires sociales et de la petite enfance de la communauté d’agglomération Roissy Pays de France et des professionnel.le.s de quatre crèches partenaires, et associera  les étudiants du Master « Psychologie du développement : petite enfance et milieux de vie » (Paris-Nanterre). 

Entretien avec Maya GRATIER

Qu’apporte à la compréhension de « l’écologie sonore » des tout-petits la littérature scientifique récente ?

Les chercheurs ont identifié les impacts délétères de certains environnements sonores sur le développement du tout-petit. Notamment, le stress induit par le bruit chez la femme enceinte, et ses effets indirects sur le développement du fœtus, sont de mieux en mieux connus. Les caractéristiques du son les plus clairement associées au stress sont l’intensité, la durée et l’imprévisibilité. 

Ainsi, le stress maternel est un facteur de risque majeur pour la naissance prématurée ou le faible poids de naissance et pour divers troubles survenant au cours de la petite enfance, comme les maladies métaboliques et immunitaires. 

L’audition du fœtus est fonctionnelle dès 23-24 semaines de gestation sans être directement affectée par un bruit environnant inadapté, puisque le tissu maternel et le liquide amniotique atténuent les sons de façon à maintenir une « écologie sonore » protectrice. Par contre, les bébés nés prématurés sont surexposés aux bruits inadaptés dans les unités de soins néonataux. Les connaissances scientifiques actuelles démontrent l’importance pour le développement cérébral des bébés prématurés, non seulement de minimiser le bruit intense et imprévisible, mais aussi de favoriser les sons naturels, notamment la voix humaine. Quelques études ont porté spécifiquement sur l’impact du bruit des avions sur le poids de naissance et la prématurité. 


Le LECD a déjà consacré un projet au moins à l’exploration de la perception sonore des bébés. Qu’en retenez-vous ? 

En effet, en 2020-2022 le Laboratoire Éthologie, cognition, développement a mené à bien un projet, avec le soutien de la Fondation Mustela, sur les expériences sonores et sensorielles de bébés en pleine nature. Il s’agissait d’étudier comment une écologie sonore naturelle pouvait favoriser les relations entre adultes et enfants et faciliter leur engagement social et affectif. Certes, il est important de travailler sur les effets délétères du bruit sur le jeune enfant, mais aussi sur les effets bénéfiques d’un environnement sonore organique !

Le LECD associe ainsi des chercheurs en psychologie du développement et en éthologie. Certains d’entre eux ont étudié les effets du bruit urbain sur les chants d’oiseau et montré comment l’écologie sonore impactait les comportements animaux.  
 

Environnement citadin ou campagnard : quelles sont vos hypothèses sur le développement des bébés dans ces deux situations ? 

À notre connaissance, aucune étude n’a encore été consacrée aux effets des bruits des avions sur les relations sociales au sein d’une crèche. Notre hypothèse est que les enfants fréquentant une crèche exposée aux bruits d’avions manifesteront des comportements sociaux différents de ceux des enfants de crèches plus éloignées du couloir aérien de Roissy. En particulier, nous pensons que l’activité vocale-sonore des tout-petits sera impactée par la perturbation de l’écologie sonore que représentent les bruits d’avion, car ils sont durables et imprévisibles. 


Le projet est né d’une rencontre avec des professionnelles de la communauté d’agglomération de Roissy : quelles étaient leurs interrogations ?

Ces professionnelles sont venues à notre rencontre motivées par notre démarche : partir d’une préoccupation de terrain et construire un projet de manière collaborative et participative avec les professionnels, les familles et les étudiants de notre Master en psychologie de la petite enfance. La thématique a rapidement émergé de nos premiers échanges, tenant compte de la situation géographique singulière des crèches impliquées (couloir aérien de Roissy et milieu rural) et de nos propres centres d’intérêt (écologie sonore, relation à la nature, développement des interactions sociales et du langage). 


Quelles applications concrètes cette recherche-action pourrait-elle avoir ? 

L’un de nos objectifs est de permettre aux professionnel.le.s d’impulser de nouvelles pratiques au niveau local, dans les crèches elles-mêmes, par exemple en repensant les aménagements des espaces dans un environnement soumis à la circulation des avions. Deuxième objectif : utiliser les résultats de ce travail pour sensibiliser les acteurs politiques de terrain à la prise en compte de l’écologie sonore et aux bénéfices pour les tout-petits d’une exposition aux sons naturels. Nous espérons enfin que ce projet inspirera d’autres chercheurs et que nos étudiants porteront ce type de thématique dans les institutions où ils ou elles travailleront dans les années à venir.