Le Prix de Recherche-Action a été décerné à Carole Berger, maître de conférences en psychologie à l’université Savoie Mont Blanc, pour son projet intitulé « Apprendre à réguler ses émotions en maternelle : co-construction d’une intervention en contexte scolaire et évaluation de son efficacité ». L’enjeu est double. D’une part, la capacité à réguler ses émotions dès le plus jeune âge contribue à l’adaptation, au bien-être et aux apprentissages. D’autre part, une meilleure empathie devrait aider à réduire le harcèlement scolaire.
Ce projet constitue le prolongement d’un volet antérieur, développé durant deux ans, visant à permettre aux petits élèves d’identifier, comprendre et nommer les émotions. Pour ce nouveau volet, Carole Berger et sa collègue Anne Lafay, également chercheuse en psychologie, souhaitent développer une nouvelle séquence d’apprentissage, portant cette fois-ci sur la régulation émotionnelle chez les enfants des moyenne et grande section de maternelle, ainsi que l’empathie et la compréhension d’autrui.
L’objectif est de construire une intervention en collaboration avec les enseignants, compatible avec les pratiques scolaires ordinaires, puis de la tester et de la diffuser auprès des professionnels grâce à l’édition d’un livret. L’intervention consiste en des séances d’apprentissage collectif menées par les enseignants entre novembre et mars dans le cadre habituel de la classe.
Son efficacité sera testée en comparant, avant et après l’intervention, les compétences d’un groupe ayant participé à l’entraînement à celles d’un groupe « témoin », pour un total de 250 à 300 enfants (avec le consentement écrit des parents). Elle évaluera la perception et la compréhension des émotions, la théorie de l’esprit et l’empathie ainsi que la capacité de l’enfant à verbaliser une stratégie de régulation émotionnelle.
Une vingtaine d’enseignants du département de la Savoie, ainsi qu’une conseillère pédagogique coordonnatrice, sont impliqués dans la réflexion et la réalisation du projet. Quant à l’intervention, elle sera menée par les deux enseignantes, Carole Berger et Anne Lafay, ainsi que leurs étudiants du Master de psychologie « enfant-adolescent » de l’université de Savoie Mont Blanc.
Entretien avec Carole BERGER
Le Prix de Recherche-Action 2024 a été décerné à Carole Berger, enseignante chercheuse en psychologie, pour son projet intitulé « Apprendre à réguler ses émotions en maternelle : co-construction d’une intervention en contexte scolaire et évaluation de son efficacité ». Ce projet est mené par la lauréate, sa collègue Anne Lafay et leurs étudiants du Master de psychologie « enfant-adolescent » de l’université de Savoie Mont Blanc en partenariat avec une vingtaine d’enseignants du département de la Savoie. Les séances d’apprentissage se déroulent dans le cadre habituel de la classe : si leur efficacité est avérée, elles pourront ainsi aisément être adoptées par d’autres enseignants, ailleurs en France. Les compétences du groupe d’enfants ayant participé à l’entraînement seront comparées à celles d’un groupe témoin, pour un total de 250 à 300 enfants.
Comment la régulation des émotions est-elle habituellement abordée en maternelle ? En quoi votre approche diffère-t-elle ?
La maternelle offre à l’enfant un environnement riche en interactions, où les ressentis émotionnels prennent très vite une place essentielle : l’enfant peut ressentir des injustices, de la colère, de la frustration, une très grande joie etc. La régulation émotionnelle ne fait généralement pas l’objet d’un enseignement explicite en maternelle, mais les enseignants aident les enfants, dans leur quotidien, à comprendre leurs émotions et à les réguler. Les aides apportées sont le plus souvent individualisées, motivées par le mal être de l’enfant, lorsqu’il éprouve des émotions négatives ou désagréables ; ou éventuellement par son indisponibilité pour les apprentissages : certaines émotions, positives ou négatives, peuvent être incompatibles avec les activités proposées, et une très grande joie peut générer une excitation telle que l’enfant n’est plus disponible. L’originalité de notre recherche est de proposer un enseignement explicite à la régulation émotionnelle, prenant la forme d’un entrainement en contexte.
Quels enseignements tirez-vous du volet antérieur de votre recherche, consacré à l’identification et à la compréhension des émotions ?
Dans notre précédente recherche, nous avons montré qu’un apprentissage explicite des compétences émotionnelles, basé sur ce que l’on connait de leur développement, était efficace chez les jeunes enfants. Parallèlement, nous avons pu noter une forte adhésion des enfants, qui ont pleinement investi les séances. Nous avons aussi dégagé un enjeu du point de vue des enseignants, qui se sont interrogés sur leurs propres compétences émotionnelles et leur compatibilité avec les objectifs d’apprentissage. Globalement, il est apparu que la participation des enseignants les a conduits, dans une certaine mesure, à modifier leur regard sur leurs gestes professionnels.
En quoi consistent les séances d’apprentissage proposées aux enfants ?
Dans un premier temps, elles visent à faire identifier la nature et l’intensité des émotions « joie », « tristesse », « peur », colère », «surprise », « dégout », à partir de situations déclenchantes présentées sous forme d’images. Pour chaque émotion, le vocabulaire spécifique est travaillé, compte tenu des degrés d’intensité. L’enfant est ensuite amené à découvrir les stratégies de régulation : modifier la situation, l’attention portée à la situation ou sa perception, jouer sur la réponse physiologique, etc. L’enfant est ensuite invité à expérimenter ces stratégies dans des activités diverses : jeux de cartes, jeux de rôles etc., ce qui a pour objectif de faciliter leur appropriation en contexte.
Quelles compétences précises évaluez-vous chez les enfants à l’issue de l’intervention ?
Nous évaluons tout d’abord les compétences émotionnelles, plus précisément les capacités de régulation émotionnelle et les capacités à identifier les émotions et percevoir leur intensité. Ces évaluations portent directement sur les aspects travaillés lors des apprentissages. Nous évaluons par ailleurs la théorie de l’esprit, c’est-à-dire la compréhension des états mentaux d’autrui, et l’empathie, c’est-à-dire les capacités de décentration, ainsi que les capacités exécutives (de contrôle). Ces évaluations complémentaires concernent des habiletés transversales hautement adaptatives. Certains éléments théoriques nous laissent penser que ces capacités pourraient être développées grâce aux séances d’apprentissage sur la régulation. Nous nous intéressons donc ici aux effets de transfert de l’apprentissage.
Comment prévoyez-vous de diffuser les fruits de cette recherche ?
La recherche conduira à l’élaboration d’un livret pédagogique à destination des enseignants, explicitant l’intérêt de travailler les compétences émotionnelles en maternelle et décrivant en détail le contenu des séances ayant montré leur efficacité. Ce livret pourra être diffusé à grande échelle, donc y compris hors du département et de la région. Des formations complémentaires pourront aussi être organisées. La diffusion se fera également à l’adresse de la communauté scientifique, par la rédaction d’articles de recherche dans des revues spécialisées.