Communiquer avec les nourrissons très vulnérables en réanimation

Psychologue clinicienne au service de médecine intensive de l’hôpital universitaire Robert Debré à Paris, le plus grand hôpital universitaire d’Europe consacré exclusivement aux femmes et aux enfants, Bénédicte Marchina-Andurand a remporté le Prix de Recherche-Action 2021 pour un projet consacré à "l’élaboration d’un dispositif d’observation filmée pour soutenir les compétences communicationnelles précoces atypiques des nourrissons vulnérables en réanimation pédiatrique". Depuis 2020, Bénédicte Marchina-Andurand –également formatrice en communication gestuelle– est en doctorat de psychanalyse et psychopathologie à l’université de Paris. 

Portée par une équipe de neuf personnes, dont quatre médecins réanimateurs et un responsable audiovisuel, cette recherche-action vise à mieux comprendre, pour mieux l’accompagner, la communication des nouveau-nés et des nourrissons hospitalisés en long séjour en réanimation pédiatrique. Ce sujet reste en effet mal connu, alors que ces enfants, dépourvus de langage verbal et soumis à des soins intenses, sont extrêmement vulnérables. 

L’hypothèse centrale en est que ces nourrissons ont, comme les autres, une appétence naturelle pour entrer en relation avec leur entourage et aussi le besoin de trouver un écho à cette recherche de lien. L’objectif est donc de permettre aux parents et aux soignants de mieux déchiffrer les signaux envoyés par ces enfants, signaux affaiblis et inhabituels puisqu’entravés par la maladie, les techniques ventilatoires, la sédation : mimiques, gestuelles, sons aux diverses tonalités, agrippements, regards… Et ce, dès la période d’hospitalisation, afin d’en limiter les séquelles et de permettre une sortie de l’hôpital dans les meilleures conditions. 

Un documentaire d’une trentaine de minutes sera réalisé à cet effet, pour montrer l’évolution –ou non– des signes communicationnels de cinq nourrissons en réanimation. Parallèlement, les soignants seront formés au repérage et à l’identification des signes de stress et de bien-être de ces bébés. Ultérieurement, pour s’adresser à la fois aux professionnels et aux familles, l’équipe prévoit des communications et des publications dans un cadre scientifique, et la parution d’un rapport final de recherche, "À quoi est sensible ce bébé ?", destiné au grand public.


 

Entretien avec Bénédicte MARCHINA-ANDURAND

Psychologue clinicienne en médecine intensive et réanimation pédiatrique à l’hôpital universitaire Robert Debré, à Paris, Bénédicte Marchina-Andurand a remporté le Prix de Recherche-Action pour son projet consacré à "l’observation de la communication vulnérable des nourrissons hospitalisés en réanimation pédiatrique avec leur entourage parental et soignant", qui fait l’objet de sa thèse de doctorat à l’université de Paris.
 

Que désignent les compétences communicationnelles précoces atypiques ?

Comme tous les bébés, les très petits nourrissons accueillis en réanimation pédiatrique ont certainement des compétences communicationnelles, c’est-à-dire la capacité et le désir d’entrer en relation avec les personnes qui les entourent. Mais leurs expressions sont inhabituelles car ces nourrissons sont très entravés par les nécessités de soins : ventilation mécanique, sédation, immobilisation. En outre, les sédations modifient leur état de conscience, leur tonicité et leur capacité à réagir ; et les appareils de ventilation et les sondes d’intubation atténuent fortement les pleurs comme les vocalisations. Les expressions de leur visage sont en partie cachées par les pansements, un masque ou les sondes... Leurs manifestations sont forcément limitées et donc plus difficiles à décrypter. En cela, on peut dire que leur communication est atypique.

Mon hypothèse est que néanmoins, même à bas bruit, persiste une intention de communiquer chez ces nourrissons hospitalisés. Il s’agit donc de repérer des manifestations sans doute très subtiles, et atténuées. Pour les identifier, je vais filmer les bébés dans cet environnement hospitalier si particulier durant plusieurs heures. Les enregistrements vidéo vont nous permettre de faire des arrêts sur image, de revenir en arrière, d’apercevoir éventuellement une réponse différée – un mouvement de la main, des paupières qui s’entrouvrent – car sous sédation, tout est plus lent. Et ils nous permettront ainsi de découvrir ce qui peut devenir un signe communicationnel dans ce contexte.

L’attention aux expressions des nourrissons me semble essentielle. Elle nous permet de nous accorder à eux, de reconnaître leurs "éprouvés". Sans réponse adéquate, un bébé pourrait glisser vers une forme de retrait relationnel, de désinvestissement de l’échange, puis se déprimer. L’enjeu est donc très important. On sait qu’il faut parler aux patients : il faut donc aussi parler aux bébés. Il est important de leur expliquer où ils sont, ce qui leur arrive. Mais il faut aussi prendre le temps de les écouter !

Il est sûr que les nourrissons ont des choses à nous dire et il faut apprendre à les entendre même s’il est parfois difficile d’accueillir les moments de détresse.
 

Que sait-on aujourd’hui de ces compétences ?

Aujourd’hui, de très belles recherches sur la communication des nouveau-nés et des nourrissons ont mis en évidence leurs compétences très précoces pour entrer en relation avec leurs parents. On s’intéresse également aux interactions des fœtus, à leur recherche de contact, à leurs explorations. Les soins de développement en néonatologie et en réanimation néonatale ont également enrichi nos connaissances sur ce sujet : l’importance du peau à peau, du "dialogue tonico-émotionnel", de la sensorialité par exemple… Par ailleurs, des travaux portant sur la réanimation, chez l’adulte, ont montré l’amélioration du vécu des patients durant leur hospitalisation grâce au soutien de la communication. En réanimation pédiatrique, étonnamment, il y a peu de recherche sur la communication des enfants réanimés et les outils qui permettraient de faciliter le lien. Et tout reste à faire concernant l’étude de la communication des nourrissons en âge préverbal en réanimation pédiatrique. Il s’agit donc d’un nouveau champ à explorer.
 

Quels objectifs la recherche-action vise-t-elle ?

Cette recherche-action se construit de manière pluridisciplinaire avec des psychologues, des médecins, des paramédicaux travaillant à Robert Debré et dans d’autres structures de soins, ainsi qu’avec plusieurs familles de patients. Il s’agit d’ouvrir le dialogue et de reconnaître que la parole de tous est importante pour construire des savoirs qui nous concernent tous.
Le premier objectif de la recherche est de montrer, par des observations filmées, que la communication chez les nourrissons hospitalisés en réanimation pédiatrique est entravée, même chez ceux présentant des critères de gravité modérée (bronchiolite).
Je voudrais ensuite rendre perceptible la persistance de capacités communicationnelles précoces chez ces nourrissons hospitalisés et les formes particulières qu’elles revêtent du fait des entraves inhérentes à l’hospitalisation en réanimation pédiatrique.

Enfin, la finalité de ce travail est d’améliorer le vécu des nourrissons très vulnérables en réanimation pédiatrique en prenant davantage en compte leurs besoins relationnels et leurs états émotionnels. Il est important, par exemple, de repérer les moments où un nourrisson est disponible afin pouvoir l’associer aux soins qu’il reçoit.
 

Sous quelle forme souhaitez-vous relayer ces messages auprès des professionnels ?

La diffusion revêtira certainement la forme de formations professionnelles et d’articles scientifiques. À l’intention des parents, nous pourrions émettre des préconisations que les soignants relaieraient dans les services concernés. D’ailleurs, si l’étude développée à Robert Debré est aujourd’hui monocentrique, elle pourra, selon les résultats, être poursuivie ailleurs.
J’aimerais aussi réaliser un documentaire pour transmettre les enjeux et les conclusions de cette recherche, sous une forme qui fasse écho à l’observation filmée, placée au cœur de cette recherche, de manière plus sensible et plus accessible.