Mieux accompagner les mères en grande difficulté sociale

"Mieux accompagner les mères en grande difficulté sociale", tel est le projet de l’équipe emmenée par Anne de Truchis, pédiatre au service de soins en périnatalité de l’hôpital du Vésinet, dans les Yvelines. Une prise en charge complète assurée par les médecins généralistes, les gynécologues, les sages-femmes et les psychiatres y est proposée aux femmes enceintes, puis, après la naissance, aux mères avec leur bébé. 

"Les femmes que nous accueillons, au nombre de 250 par an environ, sont très fragiles : migrantes à 60%, souffrant d’un vécu traumatique presque toujours, elles donnent naissance à des enfants prématurés dans 10 % des cas et souffrant d’un syndrome de sevrage (alcoolique, tabagique ou autres toxiques) dans 20 % des cas", précise Anne de Truchis. "Or, un jour, lors d’une réunion de service, un professionnel a relevé le fossé entre les conseils donnés à la maternité et la réalité vécue par les mères à leur sortie", raconte Anne de Truchis. 

Parmi les femmes concernées, en effet, certaines sont prises en charge par le Samu social, ce qui signifie une errance d’hôtel social en hôtel social avec leur nourrisson ; d’autres rejoignent un domicile insalubre ou surpeuplé. Or les règles de puériculture hospitalière y sont inapplicables : comment préparer un biberon sans eau potable à proximité ? Comment ne pas dormir avec son bébé lorsque la place manque ? Comment baigner son bébé dans une douche collective ? Comment introduire la diversification alimentaire lorsqu’on ne peut pas chauffer les aliments ? 

Les mères en question sont d’ailleurs parfaitement conscientes de ce hiatus qui les culpabilise. "Car quels que soient leurs habitudes, leur culture ou leur savoir-faire, les mères, même carencées, isolées, déprimées ou malades, adoptent rapidement les règles de puériculture en usage, explique Anne de Truchis, soit qu’elles leur servent d’appui psychique, soit qu’elles n’aient pas le choix, soit qu’elles montrent ainsi leur désir d’intégration"

L’équipe de la pédiatre a donc élaboré un livret privilégiant l’image – pour tenir compte de l’illettrisme ou de l’analphabétisme de certaines de ses destinataires – et offrant ""des outils pour bien faire"". Ce support "pourrait servir d’accompagnement entre une puériculture “idéale” et la réalité d’un quotidien difficile", souligne Anne de Truchis. Il vise à réduire l'angoisse de la sortie, diminuer le choc émotionnel lors du retour à domicile et valoriser les capacités d'adaptation de la mère. A terme, il pourrait aussi intéresser d’autres services hospitaliers, des services sociaux ou des associations accompagnant des femmes en grande précarité.

Entretien avec Anne DE TRUCHIS

Un jour, à la fin d'une réunion, la psychologue nous indique que tous les conseils et injonctions donnés aux jeunes mères pour prendre bien soin de leur bébé à la sortie du service sont pour la plupart irréalisables dans la vie des plus précaires d’entre elles. Sans le savoir, nous ajoutions de la culpabilité et de la peine à leur quotidien déjà compliqué. Voici la genèse du livret à destination des femmes en grande difficulté sociale. La gratification du prix de Pédiatrie sociale 2016 aidera à mener à bien notre projet.
 

Des vies chaotiques

Dans le service de soins en périnatalité de l’hôpital du Vésinet, des médecins généralistes et des pédiatres, des sage-femmes, des gynécologues, des psychologues et psychiatres assurent une prise prise en charge complète des femmes enceintes, et, après la naissance, aux mères avec leur bébé. Qui sont ces 150 mères que nous accueillons chaque année dans le service ? Elles restent entre deux et quatre mois. 80 % d'entre vivent dans la précarité : après le séjour dans le service, elles sont prises en charge par le Samu social et hébergées dans des hôtels, ou rejoignent des logements petits et insalubres. Les plus précaires sont souvent migrantes, elles parlent mal le français et ne savent pas lire pour un tiers d’entre elles. Dans leurs vies très chaotiques ces mères, même carencées, presque toujours isolées de leur famille, déprimées ou malades, adoptent rapidement les règles de puériculture en usage à l’hôpital. Lors d'une consultation, une mère m'expliquait ne pas se nourrir pour pouvoir acheter des bouteilles d'eau minérale. Ce sont les règles d’un service hospitalier mais on sait très bien qu'un biberon peut être préparé avec l'eau du robinet. Il nous est apparu qu'il fallait inventer un support imagé pour expliquer les pratiques de puériculture possibles aux mères qui sortent au SAMU social.
 

Un livret en images

Ce projet d'un livret permettant d'accompagner la transition entre un service de soin hospitalier et la réalité de la précarité des mères en grande difficulté sociale a fédéré l'équipe et a permis de réfléchir à nos pratiques. Différents thèmes seront abordés : comment laver son bébé ? Comment préparer un biberon ? Quels sont les dangers ? Comment changer son bébé ? Comment l'occuper ?... Pour réaliser le livret, nous avons fait appel à une illustratrice qui connaît le service. Ses propositions sont réajustées au fur et à mesure avec les femmes actuellement hospitalisées pour tester leur compréhension. C'est un processus de création lent pour obtenir un outil utile, compréhensible, rassurant et digne. On espère l'avoir en main dès juin !