Nouveaux pôles d’expertise : les cliniques pédopsychiatriques dans l’entre-deux-guerres

Titulaire d’une thèse doctorale sur l’histoire de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent en France et en Écosse, obtenue à l’université d’Édimbourg en 2021, Axelle Champion est lauréate d’une Bourse de Recherche pour son « postdoc » au laboratoire Temos (université d’Angers/CNRS) sur les « nouveaux pôles d’expertise : les cliniques pédopsychiatriques dans l’entre-deux-guerres ».

Peu explorée par la recherche, la période choisie par Axelle Champion – les années 1930 – constitue pourtant un tournant dans la prise en charge des enfants au 20e siècle, à la fois dans le champ du soin, avec l’institutionnalisation de la psychiatrie « infanto-juvénile », et en matière de protection de la jeunesse, avec la justice des mineurs. C’est à cette période, en effet, que s’ouvrent en Amérique du Nord et en Europe de nouveaux lieux destinés à accueillir une population d’enfants et d’adolescents jugée « irrégulière » et dont les besoins ne sont pas couverts par les services médico-sociaux existants.

La recherche vise à comparer les pratiques à l’oeuvre en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis : contexte médical et développement des cliniques, profil socio-culturel des enfants accueillis, diagnostics et traitements… Elle doit aussi permettre de dégager la place des professionnels français dans le développement de la pédopsychiatrie, ainsi que l’internationalisation des pratiques et théories médicales françaises sur « l’enfance irrégulière ». Elle a enfin pour ambition de restituer la « voix des patients » grâce aux notes médicales de l’époque et aux lettres et dessins des enfants.

Entretien avec Axelle CHAMPION

« Nouveaux pôles d’expertise, les cliniques pédopsychiatriques dans l’entre-deux-guerres » : tel est le thème du « postdoc » (université d’Angers/CNRS) de l’historienne Axelle Champion, lauréate d’une Bourse de Recherche pour l’Enfance en 2024. Peu étudiée, la période charnière des années 1930 correspond à un tournant dans la prise en charge des enfants au 20e siècle, avec l’institutionnalisation de la psychiatrie « infanto-juvénile » et la mise en place de la justice des mineurs.

 

Quelles questions votre recherche soulève-t-elle ?

Ma recherche s’intéresse aux cliniques psychiatriques infantiles ouvertes durant l’entre-deux-guerres en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Durant cette période, des nouvelles structures de soins adaptées aux enfants et adolescents émergent, mettant en avant des dynamiques et des préoccupations socio-médicales similaires concernant l’enfance, notamment autour des thèmes de la délinquance et des retards scolaires. Il s’agit de comprendre pourquoi et comment le choix du modèle de la clinique, inspiré par les cliniques de guidance et les cliniques médicales, s’est imposé comme l’un des pôles principaux d’expertise psychiatrique sur l’enfance. 

 

Pourquoi à cette époque précisément ? 

Plusieurs facteurs jouent dans l’ouverture des cliniques pédopsychiatriques dans les années 1920 et 1930. Dans un contexte de santé publique prônant l’hygiène mentale et la prophylaxie, les cliniques offrant des services de consultation de jour permettent au psychiatre d’intervenir auprès de l’enfant et de sa famille directement au sein de leur environnement. Le succès variable des cliniques de guidance et des cliniques de médecine urgentiste, l’échec de l’institutionnalisation au long terme dans les asiles psychiatriques ainsi que l’introduction de nouvelles thérapies, psychologiques et pharmacologiques, ont également contribué à cette évolution de l’approche en soins et pratiques psychiatriques de l’enfant. 

 

Quelles différences vous attendez-vous à découvrir entre les trois pays étudiés ?

Je m’attends à trouver un certain équilibre dans les similarités et les différences des pratiques et des idées entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. La transmission des savoirs en psychiatrie s’est accélérée au début du 20e siècle grâce à la tenue régulière de congrès autour de l’hygiène mentale, la psychiatrie, la criminologie et l’enfance, entre autres. Les publications et les traductions d’ouvrages ont une place importante, avec l’impact de la presse médicale dans la diffusion des idées en psychiatrie. Je m’attends également à ce que l’influence des politiques, de la culture, des traditions médicales, ainsi que les différences entre les professionnels de santé, s’exercent sur les pratiques en psychiatrie de l’enfant de façon locale et internationale.  

 

Quel rôle la psychiatrie française a-t-elle joué durant cette période ? 

Ceci est l’un des principaux enjeux de ma recherche. La Revue d’histoire de l’enfance irrégulière a publié un numéro spécial sur le premier Congrès international de psychiatrie infantile, tenu en 1937 à Paris et organisé par le professeur Heuyer, qui met en lumière une étape décisive, quoique peu étudiée, dans l’histoire de la psychiatrie infanto-juvénile en France et dans le monde. Il m’a paru intéressant d’identifier les facteurs qui ont amené les psychiatres et les professionnels médico-sociaux à s’organiser pour fonder une nouvelle discipline à travers ce Congrès. Par ailleurs – la dimension internationale du Congrès en témoigne – la diffusion des idées et des pratiques autour de l’enfance et de la psychiatrie est un aspect important de l’histoire sociale et médicale. 

 

Dans votre recherche, vous souhaitez aussi restituer « la voix des patients ». De quelle manière ? 

Restituer la voix des patients est certainement l’élément le plus passionnant, mais le plus difficile, de ma recherche. Très souvent, les sources en histoire de la médecine pointent vers un récit à une voix : celle des médecins, c’est-à-dire d’adultes qui ont un intérêt scientifique, social ou même financier à maîtriser un discours particulier sur les maladies mentales et sur l’enfance. Les archives sont principalement administratives ou médicales. Par exemple, même si certaines pratiques, telles que l’observation médicale, se diffusent et se concentrent sur l’enfant dans son individualité, elles sont menées, interprétées et rédigées par un professionnel de santé ; la voix de l’enfant est souvent comprise comme un symptôme à étudier. L’histoire des émotions peut alors constituer une grille de lecture utile pour relever des signes de résistance de la part des enfants. Cependant, toute archive dont l’enfant serait l’auteur, si elle existe, recevra une attention particulière.