Modes de garde collectifs pour les enfants de 0 à 3 ans : mobilisations, politiques publiques, pratiques (1968-1981)

Après une formation littéraire et un Master d’études sur le genre, Elsa Neuville a préparé une thèse en sciences sociales intitulée "Modes de garde collectifs pour les enfants de 0 à 3 ans : mobilisations, politiques publiques, pratiques (1968-1981)" (Université Lyon-2).

La décennie – fondatrice – des années 1970 voit apparaître les crèches parentales et remettre en cause la prise en charge hygiéniste des enfants dans les crèches traditionnelles : deux legs essentiels pour les modes de garde actuels. D’où l’intérêt de la jeune chercheuse pour les initiatives peu ou mal connues, les crèches dites "sauvages" et "parallèles" : "Presque aucun travail historique n'a été réalisé sur ces projets innovants".

La recherche portait ainsi sur une période encadrée par deux dates clé : création, en 1968, de la première crèche "sauvage" à la Sorbonne et première circulaire ministérielle, en 1981, qui appelle les préfets à soutenir les projets de crèches portés par des parents.

Elsa Neuville souhaitait ainsi rendre compte du rôle des militants et des parents dans l’évolution des modes de garde. Un rôle qui intéressera aussi les professionnels de la petite enfance : dans les années 1970 se nouent de nouvelles relations avec les parents, faites de collaboration plutôt que d’exclusion mutuelle.

Plusieurs sources ont été mobilisées aux fins de ce travail historique : entretiens avec des parents, militants et professionnels de la petite enfance ; archives publiques des administrations centrales et territoriales ; archives privées.

Entretien avec Elsa NEUVILLE

C’est une perspective historique qu’a choisie Elsa Neuville, lauréate d’une Bourse de Recherche en 2019, pour sa thèse en sciences sociales (université Lyon-2) : entre la fondation de la première crèche « sauvage », en 1968, et le soutien apporté par les autorités aux crèches parentales, en 1981, elle veut étudier le rôle des militants et des parents dans l’évolution des modes de garde.
 

Pourquoi votre recherche débute-t-elle en 1968 et s’achève-t-elle en 1981 ?

Ma recherche débute en 1968 car c’est en mai et juin de cette année-là, dans certaines universités occupées, que sont créées les premières crèches "sauvages". Les parents y prennent en charge collectivement leurs enfants, parfois avec l’aide de personnes extérieures. Cette expérience reste un moment fondateur pour de nombreux groupes de parents qui créent ensuite des crèches parallèles. Ces groupes de parents obtiennent, en 1981, un statut légal : celui de crèches parentales telles que nous les connaissons aujourd’hui, même si cette appellation a été choisie par le ministère de la Santé et pas par les parents, qui lui préféraient celle de collectifs enfants-parents.
 

Quels changements les années 1970 ont-elles introduits dans les modes de garde ?

C’est l’époque où de nouvelles connaissances sur le développement de l’enfant invitent à envisager comment la prise en charge institutionnelle peut être responsable de retards de développement. La plupart des crèches sont alors encore pensées sur un modèle hygiéniste : l’enfant est déshabillé, parfois baigné avec prise de température, puis rhabillé avec les habits de la crèche – dans laquelle les parents n’ont pas le droit de rentrer. Au cours des années 1970, la crèche devient peu à peu un lieu de socialisation et d’éducation.
 

Quel a été le rôle des parents et des militants dans ces évolutions ?

Leur rôle est peu connu et l’un des enjeux de ma thèse est de l’étudier. Nous savons qu’il y a eu de nombreuses initiatives locales de parents dans des crèches durant cette décennie. Liane Mozère, une sociologue qui a beaucoup travaillé sur le rôle des professionnelles de la petite enfance, le souligne également. Mais il est très difficile de retrouver leurs traces, c’est pourquoi j’ai choisi de me concentrer sur des initiatives plus spécifiques : la création de crèches sauvages et parallèles par des groupes de parents ou de militants. Ces projets sont connus des pouvoirs publics et on observe, dans les archives du ministère de la Santé, une évolution des discours à leur propos : d’une méfiance certaine au début de la décennie à une reconnaissance de leur fonctionnement positif pour les enfants. On peut donc dire que les parents ont contribué à faire évoluer le regard des pouvoirs publics sur ces modes de garde, même si l’argument budgétaire a également beaucoup joué car la participation des parents permettait de réduire le coût de fonctionnement de ces structures.
 

Comment les relations entre parents et professionnels de la petite enfance ont-elles évolué depuis 50 ans ?

Les textes législatifs sont particulièrement révélateurs. Ainsi, un arrêté de 1945 sur la réglementation des crèches, en vigueur jusqu’en 1974, stipule que les parents ne doivent jamais pénétrer dans les locaux de la crèche. En 1975, une circulaire de Simone Veil, alors ministre de la Santé, invite les directrices de crèche à organiser des réunions de parents. Ces derniers ont donc réussi à rentrer dans les crèches, même si la réalité de cette évolution peut être très différente en fonction des lieux et de la personnalité de la directrice.
 

En quoi les modes de garde actuels sont-ils les héritiers de la décennie 1970 ?

Les modes de garde actuels sont héritiers de la décennie 1970 d’abord dans leur répartition puisque, après quelques années en faveur du développement des crèches collectives, le choix est fait, vers 1975, de développer en priorité la prise en charge par des assistantes maternelles, avant tout pour des raisons budgétaires. Si la manière de prendre en charge les enfants a évolué dans les crèches, le nombre de places y reste insuffisant par rapport à la demande des parents. Concernant la place des parents dans les crèches, un rapport paru en 2019 insiste sur la nécessité de valoriser un enrichissement mutuel et une approche non normative de la prise en charge de l’enfant, ce qui correspond tout à fait à ce que demandaient déjà les parents dans les années 1970.