Alors interne en pédopsychiatrie de la région Antilles-Guyane, Anaïs Ogrizek réalisait alors une thèse de psychologie consacrée à "la périnatalité en milieu carcéral : le lien mère-enfant" (Université Paris-5).
En mai 2016, en France, les femmes représentaient 3,3 % de la population carcérale, soit 2 308 femmes. Par ailleurs, entre 2010 et 2013, 30 à 35 naissances annuelles étaient recensées durant l’incarcération de la mère. Or la grossesse constitue un moment de vulnérabilité psychique pour la mère. À cela s’ajoutent la précarité familiale, socio-économique, parfois culturelle de la mère incarcérée – avec des conséquences sur la difficulté de respecter les rites culturels liés à la grossesse, l’accouchement et les soins apportés au jeune enfant et ultérieurement, une possible fragilité des interactions précoces mère-bébé.Les établissements pénitentiaires proposent des modalités différentes d’accompagnement des femmes enceintes puis des mères avec leurs enfants. Anaïs Ogrizek se proposait donc d’étudier ces différentes initiatives pour mettre en évidence celles qui, selon ces femmes, sont les plus aidantes dans la construction de leur lien à leur enfant.
Les entretiens ont été menés directement après des femmes dans les nurseries de plusieurs sites répartis sur tout le territoire, en compagnie le cas échéant d’un interprète. Une trentaine de femmes ont été rencontrées, dont la moitié enceinte et la seconde moitié ayant déjà accouché.
Entretien avec Anaïs OGRIZEK
Interne en pédopsychiatrie de la région Antilles-Guyane, Anaïs Ogrizek a soutenu en décembre 2021 sa thèse de psychologie consacrée au lien mère-enfant en milieu carcéral et à l’analyse des dispositifs d’accompagnement à la maternité mis en place dans les établissements pénitentiaires (université Paris-5).
Entre le 1er janvier 2018 et le 1er juillet 2019, selon les données de l’administration pénitentiaire française, 115 femmes ont été admises en nurserie carcérale, dont 94 femmes enceintes et 21 avec enfant. Dans le même temps, 88 enfants jusqu’à l’âge de 18 mois étaient accueillis dans ces nurseries (dont 67 nés en cellule mère/enfant).
Quels sont les objectifs principaux de votre recherche ?
Je souhaite donner la parole à ces femmes afin d’analyser leur perception des répercussions du milieu carcéral sur leurs enfants, sur la construction du lien mère-enfant ainsi que sur la parentalité, notamment en ce qui concerne les aspects culturels. L’aboutissement de cette recherche, ce sont également des pistes pour la réorganisation des dispositifs nationaux de prise en charge existants.
Pourquoi mettre l’accent sur les difficultés d’ordre culturel rencontrées par ces femmes ?
Selon les données du ministère de la justice, 35 % des femmes accueillies en nurserie sont de nationalité étrangère et 17 % sont originaires des DOM-TOM. Elles souffrent donc d’un isolement culturel pouvant bouleverser la mise en place des traditions autour de la grossesse, l’accouchement et les soins apportés au jeune enfant – un berceau culturel pourtant indispensable dans la construction psychique en tant que mère et la mise en place du lien d’attachement avec l’enfant.
Quelle méthodologie de recherche suivez-vous ?
Il s’agit d’une analyse qualitative. J’ai pu réaliser 30 entretiens d’une durée de 1 heure à 1 heure 30 : 25 mères et cinq femmes enceintes incarcérées dans 13 nurseries en France métropolitaine et d’outre-mer.
Quelles pistes concrètes d’amélioration des dispositifs de prise en charge imaginez-vous ?
Bien que très hétérogènes d’un établissement à l’autre, les dispositifs de prise en charge actuels présentent des points communs : la trop grande exposition des mères et de leurs enfants à un milieu carcéral pourtant délétère et l’existence de dispositifs de soutien à la parentalité systématiques, peu individualisés et parfois ressentis comme oppressants.
Il faudrait, selon moi, privilégier avant tout les libérations provisoires ou conditionnelles pour ces femmes enceintes ou avec enfant. Et si une telle solution est impossible, il faudrait envisager une prise en charge individualisée, avec une évaluation pédopsychiatrique qui permettrait d’imaginer deux dispositifs plus satisfaisants. En premier lieu, si la mère peut vivre en autonomie complète avec son enfant, il vaudrait la peine de réfléchir à des structures plus indépendantes du milieu carcéral, davantage ouvertes sur l’extérieur, qui préservent leur intimité et ménagent une vie en famille – pourquoi pas, par l’aménagement des unités de vie familiales déjà existantes, organisées sous forme de petits appartements isolés des autres quartiers de la prison.
En second lieu, si la mère a besoin d’un accompagnement à la parentalité, on pourrait concevoir des structures indépendantes de la prison, sur le modèle des unités d’hospitalisation spécialement aménagées en psychiatrie par exemple. Des soins pourraient y être dispensés en toute indépendance par un personnel qualifié ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, et une « coque » pénitentiaire entourant l’établissement permettrait de veiller à la sécurité des détenues et à l’absence d’évasion.