Etude SESAME (Suivi, Enfance, Santé, Accessibilité, Mobilisation, Équité) : évaluation de l’accès aux soins des enfants confiés à la protection de l’enfance depuis leur placement au sein de la Fondation ILDYS

Mineurs protégés : « combiner suivi médical, soins psychiques et coordination éducative pour offrir un accompagnement global »  


La population des enfants, adolescents et jeunes adultes protégés en France – c’est-à-dire pris en charge, quelles que soient les prestations ou mesures – est exposée à un risque très accru de problèmes de santé. Ainsi, en moyenne, ces 310 000 mineurs et 34 000 majeurs présentent une prévalence de troubles psychiques de 50 %, une proportion cinq fois supérieure à la moyenne nationale. Qu’en est-il au sein de la Fondation ILDYS, qui gère plusieurs dispositifs destinés aux mineurs protégés en Bretagne ? Pour répondre à cette question, Cécile Aubert-Monot, pédiatre dans le service de soins médicaux et de réadaptation (SMR) du site de Perharidy, à Roscoff, a conçu l’étude « Sesame (Suivi, Enfance, Santé, Accessibilité, Mobilisation, Équité) : évaluation de l’accès aux soins des enfants confiés à la protection de l’enfance depuis leur placement au sein de la Fondation ILDYS », avec le soutien de la Direction Enfance famille du Finistère. Le responsable recherche clinique et innovation de la Fondation, Matthieu Pichelin, en présente les grandes lignes. 

Entretien avec Matthieu PICHELIN

Parmi la population « protégée », un enfant ou adolescent sur deux souffre de troubles psychiques : la proportion est considérable. Comment cela s’explique-t-il ? De quels troubles s’agit-il ?

Cette proportion particulièrement élevée reflète la vulnérabilité de cette population. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Tout d’abord, le contexte familial souvent dégradé – carences éducatives, violences ou négligences – constitue un premier traumatisme majeur, souvent aggravé par la séparation d’avec les frères et sœurs lors du placement. Ensuite, le nombre de places disponibles dans les structures d’accueil étant limité, certains enfants restent plus longtemps dans un environnement familial difficile, ce qui amplifie les effets négatifs sur leur santé mentale. Enfin, l’offre de prise en charge psychique reste insuffisante pour répondre aux besoins complexes de ces jeunes. Cette combinaison de facteurs contribue à la fragilisation psychique, pouvant se traduire par des troubles tels que l’anxiété, la dépression, des troubles du comportement ou des difficultés relationnelles, nécessitant un suivi spécialisé et coordonné pour limiter l’aggravation de ces troubles.


Combien de jeunes la Fondation ILDYS prend-elle en charge dans ses différents dispositifs ? Quel est, en général, leur état de santé ? 

Engagée pour les jeunes protégés, la Fondation ILDYS agit depuis de nombreuses années dans le domaine de la protection de l’enfance, avec pour mission essentielle de veiller au bien-être, à la sécurité et au développement des jeunes placés sous sa responsabilité. Son action s’inscrit dans le cadre d’une mission de service public, en lien étroit avec la Direction Enfance famille du Finistère, et elle est habilitée par le Conseil départemental ainsi que par la Protection judiciaire de la jeunesse. Elle s’efforce ainsi de maintenir, retrouver et développer l’autonomie et la dignité de chaque enfant accueilli. Pour répondre au plus près aux besoins spécifiques de chaque jeune, l’équipe de la Fondation élabore un projet individualisé, défini à partir d’un recueil complet d’informations sur l’enfant et sa famille, afin de déterminer des objectifs précis et les moyens à mobiliser pour les atteindre.

Le Pôle social de la Fondation regroupe une large diversité de dispositifs, encadrés par une équipe de 193 salariés, qui permettent d’accompagner les jeunes de différentes manières selon leur situation et leurs besoins. Parmi ces dispositifs figurent quatre Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS) offrant 43 places ; et des placements diversifiés avec 75 places : placements familiaux sociaux et 15 places en placements familiaux de guidance parentale. La Fondation propose également un Service d’Accompagnement Éducatif à Domicile (13 places), des dispositifs éducatifs adaptés à la scolarité ou au parcours éducatif (8 places), ainsi que des placements éducatifs à domicile (78 places). Dans un souci de continuité et de lien familial, l’Espace Rencontres Protection de l’Enfance assure des points de rencontre ASE et des visites médiatisées, tandis que les services aux familles offrent de la médiation familiale et un accompagnement à travers le dispositif « Le Trait d’union ». Enfin, un projet récent, le Village-fratries à Plouzévédé, ouvrira à l’été 2025 avec 30 nouvelles places, renforçant l’accueil et l’accompagnement des fratries.

Cette organisation diversifiée reflète la volonté de la Fondation ILDYS de répondre aux besoins variés des enfants protégés, en offrant à chacun un cadre sécurisant, structuré et adapté à sa situation personnelle. Cependant, l’accompagnement éducatif et social ne peut se concevoir sans une attention particulière à la santé globale des jeunes, un aspect aux enjeux complexes et souvent sous-estimés.

Une étude menée sur 94 enfants et jeunes, répartis sur quatre MECS, SAES et placements familiaux, a ainsi permis de dresser un portrait précis de leur état de santé et de leurs besoins médicaux et psychiques. Les résultats révèlent des situations préoccupantes et mettent en lumière les défis auxquels sont confrontés les professionnels de la Fondation ILDYS.

Tout d’abord, près de 27 % des jeunes n’ont pas de médecin traitant déclaré, un chiffre particulièrement inquiétant pour les mineurs ou jeunes majeurs hébergés au Service d’Accompagnement Éducatif à Domicile (SAEA), où ce taux atteint 60 %. Cette absence de suivi médical régulier complique l’accès aux soins et réduit le remboursement de certaines prestations de santé, alors que la loi française prévoit qu’à 16 ans, un enfant doit entrer dans le parcours de soins coordonnés.

La vulnérabilité de ces jeunes se traduit également par la présence d’au moins une notification MDPH chez 42 % des participants, ce qui illustre la double fragilité de cette population : sociale et liée à la santé ou au handicap. Par ailleurs, 28 % seulement des enfants disposent d’un bilan d’entrée complet à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), ce qui souligne les carences persistantes dans le suivi médical initial. Lors des rapports annuels des enfants confiés, les informations sur la santé mentale font souvent défaut, et en cas contraire, elles sont rarement établies par un professionnel de santé.

Si les taux de vaccination sont relativement satisfaisants – 90 % des enfants ont un schéma vaccinal conforme à plus de 80 %, dont 63 % ont un schéma complet –, la réalisation des examens médicaux obligatoires reste insuffisante : seuls 27 % des jeunes ont effectué tous les examens requis, un chiffre encore plus faible pour les soins dentaires, probablement sous-estimé en raison de données manquantes dans les carnets de santé. En revanche, le recours aux spécialistes est élevé : 47 % des participants ont consulté au moins cinq spécialités distinctes et 40 % en ont consulté trois à quatre. Les consultations les plus fréquentes concernent, au sein de la Fondation, la médecine physique et de réadaptation pédiatrique (MPR), la pédiatrie endocrinologique et la neuropédiatrie. Hors Fondation, ce sont surtout l’ophtalmologie, la dentisterie et la pédopsychiatrie qui sont concernés, tandis que les soins paramédicaux les plus sollicités incluent psychologues, psychomotriciens et orthophonistes.

Ces résultats révèlent une santé globale fragile et des besoins multiples, nécessitant une coordination renforcée des soins pour assurer un suivi complet et adapté. Les enfants accueillis présentent souvent des situations complexes combinant troubles physiques, psychiques et parfois sociaux, accentués par des expériences de maltraitance, de négligence ou de traumatismes précoces.


Des expérimentations nationales ont confirmé le besoin d’une meilleure prise en charge de la santé des mineurs protégés. Pouvez-vous nous en dire davantage ? 

Deux expérimentations nationales ont été mises en place pour améliorer la prise en charge sanitaire des mineurs protégés. Lancée dans le cadre de la Loi de financement de la sécurité sociale de 2018, l’expérimentation « Santé Protégée » visait ainsi à tester de nouvelles organisations et modalités de financement pour améliorer le parcours de soins des enfants et adolescents protégés. Cette initiative reposait sur une collaboration étroite entre professionnels de santé, services sociaux et structures d’accueil, et s’est déroulée sur quatre départements pilotes : Loire-Atlantique, Pyrénées-Atlantiques, Haute-Vienne et Seine-Saint-Denis, jusqu’au 15 juin 2024.

Son objectif principal était de garantir un accès coordonné aux soins, y compris en santé mentale et dans les suivis spécialisés, tout en permettant une prise en charge précoce des pathologies et situations de handicap. Les jeunes concernés étaient protégés quelle que soit la mesure de protection dont ils relevaient, qu’elle soit administrative ou judiciaire, et qu’ils soient à domicile ou confiés.

Les résultats de « Santé Protégée » ont confirmé l’importance de la coordination : une diminution notable des recours aux soins d’urgence a été observée, accompagnée d’une réduction moyenne de 241 euros par mineur et par an des dépenses de soins, sans compromettre la qualité de la prise en charge. Sur le plan sanitaire, l’étude a révélé que 26 % des enfants avaient des besoins en soins dentaires, 23 % en soins ophtalmologiques, et 8 % en soins ORL, tandis que les besoins en orthophonie et vaccinations restaient significatifs mais non quantifiés. Du côté de la santé mentale, 13 % des enfants nécessitaient une consultation psychologique et 7 % des soins en psychomotricité. Ces données confirment que les jeunes protégés présentent des besoins très divers et souvent complexes, nécessitant une approche globale et coordonnée.

Cette expérimentation a également souligné l’importance d’un réseau pluridisciplinaire comprenant des professionnels volontaires formés à la protection de l’enfance, en lien avec les structures hospitalières telles que l’Unité d’Accueil Pédiatrique Enfants en Danger (UAPED). Elle a ainsi constitué un modèle pour développer des dispositifs similaires à l’échelle nationale, démontrant que la coordination et la prévention permettent non seulement de mieux répondre aux besoins des enfants, mais aussi de réaliser des économies substantielles pour le système de santé.


Quelles sont vos hypothèses pour améliorer la prise en charge médicale de cette population vulnérable ? 

Partant de ces constats, l’étude Sesame menée par la Fondation ILDYS propose plusieurs pistes concrètes pour améliorer la prise en charge médicale et psychique des jeunes protégés. Ces recommandations reposent sur une mise en place progressive de moyens humains et techniques adaptés à la complexité des situations rencontrées.

Premièrement, il est envisagé de créer un poste médical (0,4 ETP dans un premier temps) chargé de réaliser plusieurs missions essentielles :

  • Élaborer un rapport de santé à l’entrée de l’enfant dans un dispositif de la Fondation ILDYS, afin de détecter les besoins immédiats et les carences dans le parcours initial.
  • Assurer la rédaction des rapports annuels de santé pour les enfants confiés à l’ASE, garantissant un suivi continu et documenté.
  • Coordonner le parcours de soins de chaque enfant, en lien avec les professionnels internes et externes.

Deuxièmement, un temps infirmier (0,2 ETP) pourrait être consacré à la coordination des enfants aux besoins multiples, assurant un suivi régulier et un relais entre les différents spécialistes.

Troisièmement, la présence d’un psychologue (0,2 ETP) permettrait de répondre systématiquement aux besoins psychiques des enfants, tout en garantissant la réalisation des bilans annuels de santé mentale par un professionnel qualifié. Cette approche vise à renforcer l’accompagnement psychologique et prévenir l’aggravation des troubles comportementaux ou émotionnels.

D’autres mesures spécifiques sont également envisagées, comme :

  • Faciliter l’accès aux soins dentaires, notamment via des dispositifs mobiles tels que le Breizh Bucco Bus.
  • Envisager la mise à disposition d’un psychomotricien, afin de compléter le suivi des enfants présentant des troubles moteurs, sensoriels ou liés au développement.

Ces propositions témoignent de l’importance de combiner suivi médical, soins psychiques et coordination éducative pour offrir aux enfants un accompagnement global, adapté à leurs besoins spécifiques et évolutifs.


Comment comptez-vous diffuser les résultats de l’étude Sesame au-delà de la Fondation ILDYS, au bénéfice de la population protégée en France ? 

La diffusion constitue une étape clé pour élargir l’impact des bonnes pratiques observées au sein de la Fondation ILDYS à l’ensemble de la population protégée en France. Plusieurs moyens de valorisation et de communication sont prévus. Publications scientifiques, tout d’abord : les résultats détaillés de l’étude seront publiés en 2026, permettant à la communauté scientifique et professionnelle d’accéder aux données et aux analyses. Présentations lors de congrès et salons, ensuite : ces rencontres offriront un espace d’échange entre professionnels de la protection de l’enfance, de la santé et de la recherche, favorisant la diffusion des méthodes et recommandations. Notes de synthèse et supports pédagogiques, enfin : une note synthétique accompagnée d’un diaporama a été préparée pour présenter les résultats aux autorités compétentes, notamment le département du Finistère et l’ARS, afin d’influencer les politiques publiques et les dispositifs d’accompagnement.

L’objectif est que les enseignements tirés de l’étude Sesame ne restent pas cantonnés à la Fondation ILDYS, mais servent de modèle pour améliorer la prise en charge des jeunes protégés à l’échelle nationale, en mettant l’accent sur la prévention, la coordination des soins et l’accès égalitaire aux services de santé.