Evaluation du risque de MVTE en obstétrique : validation de onze scores de prédiction du risque dans une cohorte prospective multicentrique française Projet HERMIA-11

Pour un score fiable de prédiction du risque de maladie veineuse thromboembolique en contexte obstétrical 

La maladie veineuse thromboembolique (MVTE) est une des principales causes de mortalité maternelle en France et dans les pays occidentaux ; elle complique 4 à 5 grossesses sur 1 000. Cependant, aucun outil fiable de prédiction n’a été fermement validé pour étayer les stratégies de prévention. Dans le cadre de sa thèse en sciences de la vie et de la santé réalisée à l’Université de Bretagne Occidentale, Éloïse Laouenan s’appuie sur une cohorte finistérienne de 20 000 parturientes, HEMOTHEPP, pour tester onze scores différents, tous publiés dans la littérature scientifique mais pas encore validés, et identifier le ou les plus pertinent(s). Elle souhaite en outre évaluer l’impact d’autres facteurs cliniques ou biologiques, tels que l’hérédité thromboembolique veineuse ou de nouveaux variants en cours d’investigation à partir de la bio-banque de la cohorte HEMOTHEPP.

Entretien avec Eloïse LAOUENAN

Quel est l’avantage de recourir à la cohorte HEMOTHEPP pour tester les scores de prédiction de la MVTE ? 

À l’échelle internationale, HEMOTHEPP est la plus vaste cohorte prospective de femmes enceintes non sélectionnées. De nombreuses variables sur les antécédents médicaux des femmes, leur grossesse et leur accouchement ont été recueillies de façon prospective. Ces données nous permettent de calculer rétrospectivement des scores de prédiction du risque et ainsi de classer les femmes à risque faible, intermédiaire ou élevé de développer une maladie veineuse thromboembolique (MVTE). Puisque les femmes ayant effectivement développé une MVTE et les femmes n’en ayant pas développé sont connues, nous pouvons déterminer, pour chaque score, s’il classe les femmes correctement ou non, et donc, évaluer ses performances dans cette population.


Quels nouveaux facteurs de survenue de cette maladie sont en cours d’investigation ?

Les analyses sur la cohorte sont en cours. L’hérédité thrombotique semble avoir un fort impact sur la survenue d’une MVTE en contexte obstétrical. Grâce aux prélèvements sanguins réalisés chez les femmes de la cohorte HEMOTHEPP, avec constitution d’une bio-banque pour permettre les analyses à la recherche de biomarqueurs, nous avons plusieurs projets en cours en lien avec l’hérédité de cette maladie, soit dans notre laboratoire, soit en partenariat avec des laboratoires membres du réseau francophone de la thrombose, le réseau F-CRIN INNOVTE, dirigé par le Pr Francis Couturaud, pneumologue au CHU de Brest. Il s’agit de l’analyse de l’étude cas-témoins FIT-H (hérédité des femmes jeunes avec MVTE en contexte hormonal) et de l’étude PILGRIM (facteurs de risque de MVTE chez les femmes sous contraceptifs oraux combinés) du Pr Pierre-Emmanuel Morange, hématologue au CHU de Marseille. Ces travaux collaboratifs sur trois vastes études pourraient permettre la découverte de nouveaux variants et de biomarqueurs impliqués dans la MVTE chez la femme en contexte hormonal.


En quoi consistent les scores que vous allez tester ? Une fois le score le plus pertinent identifié, quels changements attendre dans les pratiques obstétricales et les recommandations cliniques ?

La MVTE en contexte obstétrical est une pathologie multifactorielle. Certains facteurs de risque sont préexistants à la grossesse, d’autres apparaissent durant celle-ci, d’autres encore à l’accouchement et d’autres enfin dans le post-partum. Ceci implique qu’il faut, pour chaque femme, prendre en compte l’ensemble de ces facteurs de risque, et évaluer et réévaluer le risque tout au long de la grossesse et du post-partum.

En pratique clinique, ces scores de prédiction du risque de MVTE permettent d’évaluer en quelques minutes la probabilité du risque de façon individuelle et répétée : visite pré-conceptionnelle, consultations de grossesse, accouchement, maternité, puis lors du suivi des femmes après la sortie de la maternité.

Ces scores sont nombreux dans la littérature, mais ils n’ont pas été validés dans d’autres populations que celles pour lesquelles ils ont été développés. Valider un ou des score(s) de prédiction du risque de MVTE permettrait aux équipes de disposer d’un ou plusieurs outil(s) dont la fiabilité pour dépister les femmes à risque a été démontrée. Ceci faciliterait leur utilisation systématique et amènerait toutes les sociétés savantes à en recommander l’usage sur des bases scientifiques solides.


De quelle manière les sage-femmes peuvent-elles être impliquées dans l’évaluation et la prévention du risque de MTVE ? 

Les sages-femmes sont des praticiennes de premier recours. La prévention est une part importante de notre métier, que ce soit par la vaccination, le dépistage du cancer du col utérin ou par le dépistage de la dépression du post-partum. Ainsi, nous devons évaluer des risques, identifier des pathologies et adresser les femmes à des spécialistes : le gynécologue en cas de frottis cervico-utérin pathologique, l’endocrinologue en cas de diabète gestationnel, le psychiatre en cas de troubles de l’humeur, et un spécialiste de la MVTE si la femme est à risque thrombotique.


Vous envisagez d’ores et déjà de lancer un essai européen pour évaluer les stratégies optimales de thromboprophylaxie en situation obstétricale. Pourquoi passer à l’échelle européenne ? 

La MVTE est une pathologie grave mais rare. Pour observer une différence de risque de MVTE entre deux groupes dans le cadre d’un essai thérapeutique sur sa prévention, il est donc nécessaire d’inclure un grand nombre de femmes. Nous avons la chance que les spécialistes de la MVTE à l’échelle française, mais aussi internationale, soient très bien organisés en réseaux. Ceci permettrait de disposer de nombreuses équipes prêtes à inclure des femmes dès le démarrage de l’étude, dans un délai raisonnable : d’où l’intérêt de l’échelle européenne. Cerise sur le gâteau, en incluant une population plus diverse, on garantirait la robustesse de l’essai et on pourrait donc extrapoler ses résultats à d’autres populations.