Sage-femme clinicienne et coordinatrice de l’Enquête nationale périnatale 2021, Candie Grangé consacre son Master 2 en santé publique à l’université Paris-Saclay au sujet suivant : "Les soins de santé mentale sont-ils accessibles à toutes les mères ? Identification des besoins en santé mentale et orientation des femmes migrantes en situation de précarité au cours de leur grossesse et du postpartum par les professionnels de la périnatalité".
Ayant participé à un groupe de paroles pour femmes migrantes, Candie Grangé a pu en observer les bienfaits au fil des séances. Or elle a constaté que certaines femmes, y compris parmi celles présentant des antécédents psychiatriques majeurs, bénéficient d’un accompagnement professionnel très tardif. En outre, des études révèlent que les mères nées à l’étranger sont plus à risque de développer une dépression post-natale.
Quels sont donc les freins à l’accès aux soins de santé mentale des jeunes mères migrantes ? Des entretiens menés auprès de professionnels de la périnatalité permettront dans un premier temps d’identifier, dans leurs discours, la manière dont est repérée –ou non– la détresse psychique des femmes migrantes. Par exemple, les soignants considèrent-ils qu’une détresse manifeste est intrinsèquement liée aux conditions matérielles d’existence et relève d’une prise en charge sociale plus que psychique ? Il s’agira ensuite d’évaluer les limites à la proposition effective d’un accompagnement en santé mentale.
Entretien avec Candie GRANGÉ
Candie Grangé est actuellement sage-femme coordinatrice à la Maison des femmes de l’Hôtel-Dieu (AP-HP Centre-université de Paris), un lieu de soin pour les femmes victimes de violences. Elle consacre son Master 2 en santé publique à l’université Paris-Saclay au sujet suivant : "Dépistage des vulnérabilités psychiques, orientation et accompagnement des femmes immigrées au cours de leur grossesse et du postpartum par les professionnels de la périnatalité". Au cours de sa pratique, elle a en effet pu constater que certaines femmes, y compris parmi celles présentant des antécédents psychiatriques majeurs, bénéficient d’un accompagnement professionnel très tardif.
Les mères immigrées accèdent plus difficilement aux soins de santé mentale : quelle est votre hypothèse principale pour l’expliquer ?
De façon générale, comme au cours de la grossesse, les femmes immigrées accèdent plus tardivement aux soins de santé : méconnaissance des droits et de la possibilité de bénéficier de soins gratuits, difficulté à s’orienter dans un système de santé inconnu etc. Par ailleurs, plusieurs études ont mis en évidence que les femmes enceintes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne bénéficient de soins différenciés, avec un recours moindre aux investigations médicales sur le plan qualitatif comme quantitatif.
Parfois, en tant que professionnels de la périnatalité, nous recevons des femmes en grande souffrance psychique. Mais le chemin jusqu’au professionnel de santé mentale est jalonné d’obstacles, dont certains inconsciemment induits par nous-mêmes. Car lorsqu’une femme se trouve dans une situation précaire, nous nous focalisons sur ses priorités de survie : logement, alimentation, sécurité. Dans d’autres situations, nous nous « censurons », parfois pour éviter de générer une angoisse supplémentaire ou un sentiment de stigmatisation, ou parce que nous supposons qu’une femme immigrée n’adhèrera pas à cet accompagnement pour des raisons culturelles.
Quelle est votre méthodologie de recherche ?
Nous réaliserons une étude qualitative à l’aide d’entretiens semi-directifs auprès de sages-femmes, médecins spécialistes en santé périnatale, puéricultrices, gynécologues-obstétriciens et professionnels de santé mentale exerçant en milieu hospitalier ou en PMI en Île-de-France. Ces entretiens seront menés à l’aide d’un guide d’entretien testé par pré-enquête. Enfin, le sujet sera contextualisé grâce aux données des dernières enquêtes nationales périnatales.
Les femmes immigrées souffrent-elles d’une santé mentale plus fragile ?
Pour certaines d’entre elles, les violences subies durant le parcours migratoire ainsi que les motifs de leur départ du pays d’origine sont autant de facteurs impactant la santé mentale. La migration, la perte de repères, l’absence d’entourage familial et social en constituent d’autres. Par ailleurs, les conditions de vie de certaines femmes immigrées précaires contribuent à des niveaux de dépression et de troubles du stress post-traumatique plus élevés qu’en population générale. À la naissance s’ajoute la difficulté d’accueillir un enfant dans une société dont on ne maîtrise pas tous les repères culturels. Les études menées auprès des jeunes mères ont pointé que les femmes originaires d’Afrique sub-saharienne présentaient des taux élevés de mauvaise santé mentale et que les mères nées à l’étranger étaient plus à risque de développer une dépression post-natale.
Quelles applications concrètes escomptez-vous de cette recherche ?
Dans le cadre de ce travail de recherche, il ne s’agit pas de dénoncer le comportement des professionnels de santé – dont je salue au contraire la mobilisation au quotidien pour une prise en charge optimale des femmes et de leurs nouveau-nés, indépendamment de leur pays d’origine. Il s’agit d’illustrer la complexité des situations et d’identifier les freins et les leviers qui permettront d’accompagner au mieux ces femmes, au plus près de leurs besoins. Il n’existe pas à ce jour d’outil permettant d’évaluer de façon objective la vulnérabilité psychique des femmes. De fait, l’évaluation est complexe car cette vulnérabilité est le fruit à la fois de facteurs médicaux, psychologiques et/ou sociaux, comme la migration récente et l’absence de réseau social. Ma recherche pourrait donc contribuer à l’élaboration d’un outil de dépistage adapté à toutes les femmes.