La surconsommation médicale des grossesses à bas risque – 80 % des grossesses – est une réalité en France. Ainsi, alors que le suivi de grossesse recommandé est de sept consultations prénatales (voire une huitième consultation avant la dixième semaine d’aménorrhée) et de trois échographies obstétricales de dépistage, 45% des femmes bénéficient d'au moins dix consultations (données 2010) et près de 30 % d’entre elles, de six échographies au moins.
C’est à ce sujet que Jade Merrer, sage-femme, a consacré son master Méthodes en santé publique à l’université Paris-Sud. Afin de proposer une première description, en France, de la surmédicalisation des grossesses à bas risque, elle a exploité les données issues de l’enquête périnatale de mars 2016, alors unique enquête d’ampleur nationale dans le domaine de la périnatalité : caractéristiques socio-démographiques des femmes concernées, type de suivi – sage-femme, obstétricien, gynécologue médical ou médecin généraliste etc.
Une surveillance très élevée est-elle associée à un comportement préventif excessif ? Le suivi des femmes par une sage-femme plutôt que par un médecin protège-t-il de la surmédicalisation de leur grossesse ? Telles étaient notamment les questions auxquelles cette recherche a permis de répondre, dans un contexte de baisse du nombre de médecins et d’accroissement des dépenses de santé supportées par les familles, les assurances santé complémentaires et au-delà, les contribuables et l’ensemble des cotisants des régimes de sécurité sociale. En effet, dans les pays ayant mis en place un suivi habituel strict (plus de dix consultations prénatales), il est apparu qu’une diminution de ce nombre ne modifiait les risques ni pour la mère ni pour le nouveau-né. Des mesures correctrices pourraient donc être adoptées en France également, ce qui permettrait en outre de réduire l’angoisse des familles confrontées à la multiplication des examens médicaux.
Les résultats de ce travail ont donc évidemment intéressé les autorités publiques de santé, mais aussi les sages-femmes, qui assurent de plus en plus le suivi des femmes enceintes grâce à une démographie professionnelle favorable et au développement du secteur libéral (21 % des sages-femmes en exercice en 2016).
Entretien avec Jade Merrer.
Depuis quelques années, on assiste, en France, à l’augmentation du nombre de visites et d’examens médicaux durant la grossesse. Ainsi, alors que le suivi recommandé est de sept consultations prénatales (et plus récemment une huitième consultation avant la dixième semaine d’aménorrhée) et de trois échographies obstétricales de dépistage, 45 % des femmes bénéficient d’au moins dix consultations et près de 30 % d’entre elles, de six échographies au moins, selon l’enquête nationale périnatale de 2010. Or 80 % des grossesses se déroulent de manière physiologique et ne nécessitent donc pas un suivi aussi resserré.
Décrire précisément ce phénomène, c’est ce à quoi Jade Merrer, sage-femme depuis deux ans, consacre son stage de master 2 recherche en santé publique à l’université Paris-Sud, en se fondant sur les données de l’enquête périnatale de mars 2016, la seule d’ampleur nationale dans ce domaine. La surmédicalisation pose en effet plusieurs problèmes : augmentation des dépenses de santé, accessibilité difficile dans les zones sous dotées en infrastructures et angoisses inutiles chez les futurs parents confrontés à la multiplication d’examens médicaux.
Comment l’idée de ce sujet vous est-elle venue ?
Il m’a été proposé par la responsable scientifique de l’enquête périnatale, Béatrice Blondel, directrice de recherche et épidémiologiste à l’Inserm. La surmédicalisation est en effet une tendance visible depuis plusieurs années, mais qui n’a jamais été étudiée précisément en France. J’ai moi-même observé, dans la maternité de niveau 1 de Guingamp (Côtes-d’Armor) où j’ai exercé deux ans, le mésusage du système de santé, avec un excès de consultations obstétricales aux urgences et des suivis variables selon le professionnel et le type de structure.
Quelles hypothèses souhaitez-vous tester ?
Nous aimerions tout d’abord identifier le profil des patientes à bas risque avec un suivi plus intense non justifié. Par exemple, la première grossesse étant de plus en plus tardive et le niveau d’études de plus en plus élevé, est-il vrai que les femmes sont mieux informées des complications éventuelles, et donc demandeuses d’un suivi plus étroit ? Les caractéristiques socio-économiques des femmes interviennent-elles ?
La parité joue aussi un rôle probable, comme le décrit la littérature scientifique : les primipares bénéficient souvent de davantage de consultations que les multipares. D’ailleurs, des pays comme la Belgique ont mis en place un suivi particulier sur ce critère : dix consultations pour les primipares et sept pour les multipares.
Question suivante : le suivi diffère-t-il selon le professionnel (sage-femme, obstétricien ou généraliste) et le secteur de suivi (privé ou public) ? Nous supposons que les patientes à bas risque suivies par des sages-femmes (des deux sexes) sont moins exposées à la surmédicalisation de leurs grossesses, une hypothèse cohérente avec la formation de ces professionnels – orientée vers la physiologie –, leur démographie favorable et leur participation croissante au suivi prénatal.
Quelles leçons pratiques tirer d’une telle étude ?
L’objectif est d’identifier un profil de patientes à bas risque pour sensibiliser les professionnels de santé à la nécessité d’une attention particulière. Nous souhaitons aussi comprendre le rôle des professionnels de santé et de certaines filières de soins dans la surmédicalisation. Cela étant, cette recherche est une première approche descriptive du phénomène. Il faudra poursuivre les travaux sur ce sujet afin de permettre, à terme, la mise en œuvre d’actions pratiques.