Face à un comportement inapproprié, pour sortir du conflit et si besoin rendre justice, il est fréquent de punir ou d’isoler. Et si réparer pouvait être plus souvent une alternative ou un complément ? En parallèle des institutions judicaires, les pratiques restauratives se développent dans les sociétés de différents pays, y compris dans les structures éducatives. Nous pouvons donc nous demander comment l’enfant comprend et vit la justice restaurative.

 

Enfant qui serre une main

La justice restaurative en quelques mots…

 

Un dispositif qui permet de rétablir le lien social

La justice restaurative permet aux auteurs de faits et aux victimes de dialoguer afin de rétablir le lien social, réfléchir ensemble à l’acte commis et à ses conséquences et ainsi éviter la récidive1. Déjà intégrée partiellement dans les pays de culture anglo-saxonne, la justice restaurative a été introduite en France dans le code de procédure pénale en 20142.

La justice restaurative est inspirée des pratiques de régulation des conflits des peuples autochtones, par exemple chez les Maoris de Nouvelle-Zélande ou chez les Kinga de Tanzanie. Ces systèmes de justice considèrent généralement que l’agresseur s’est coupé de la société par l’offense qu’il a commise. Dès lors, l’objectif essentiel des autres membres de la société est de réparer le lien endommagé en vertu du principe qu’il est mauvais pour une société de se démembrer3.

Les dispositifs de la justice restaurative jouent un rôle libérateur autour de la parole et de l’écoute, pour se raconter sans tabou ni jugement, avoir l’occasion de s’exprimer différemment, obtenir des réponses au « pourquoi » et au « comment », commencer à comprendre l’autre et reconnaître son humanité4.

 

Un autre regard sur la justice et l’être humain

S’il existe des points communs avec la justice traditionnellement utilisée dans les États par les autorités judiciaires, dite « justice rétributive », la justice restaurative soutient une approche alternative de la justice3 :

  • la justice restaurative met l’accent sur les besoins de la victime et sur la responsabilité de l’agresseur de réparer le préjudice causé, tandis que la justice rétributive met l’accent sur la punition à infliger à l’agresseur en proportion de la gravité des faits reprochés ;
  • pour la justice rétributive, la réparation de la victime se limite souvent à un aspect matériel, alors que, dans le cadre de la justice restaurative, la réparation de la victime est au cœur du processus et revêt principalement une dimension morale et émotionnelle, sans que cela ne vise le « pardon ».

Cette approche restaurative est proposée dans le cadre juridique en complément de la justice pénale pour les justiciables éligibles, mais des pratiques restauratives peuvent être intégrées en dehors de l’institution judiciaire, dans n’importe quel lieu de vie pour résoudre les conflits (établissement scolaire, foyer, famille…).
 

L’interaction entre auteurs de faits et victimes est un point essentiel de la justice restaurative et des pratiques restauratives. Le déroulement de cette interaction et le bénéfice que les participants peuvent en tirer risque de dépendre fortement du contexte. Par exemple, le type de fait commis, le lien entre les auteurs et les victimes, ou encore les rôles occupés par les auteurs et victimes dans la société. On ne sait pas encore comment tous ces éléments influencent l’appréhension des pratiques restauratives et c’est pourquoi il est important de l’étudier. Les recherches en psychologie permettent donc de mieux comprendre comment les individus appréhendent les pratiques restauratives et quels bénéfices ils peuvent en tirer.

Flora Schwartz Flora SCHWARTZ Chercheuse en psychologie et neurosciences

Enfants qui discutent

Le sens de la justice chez l’enfant

 

Un sens moral précoce

D’après Flora Schwartz, chercheuse en psychologie et neurosciences, de nombreux travaux se sont intéressés à la manière dont l’être humain rend la justice, en montrant en particulier pourquoi et comment les individus punissent. L’être humain aurait même une « intuition » à punir qui serait observée dès le plus jeune âge. Ces comportements reposeraient sur un sens moral précoce. Les bébés sont ainsi capables de détecter les intentions malveillantes et les situations d’inéquité. Dès 3 ans, les enfants interviennent dans des situations de conflit entre paires pour rétablir la justice. Les enfants montrent même à partir de 5 ans des stratégies et motivations très sophistiquées pour punir autrui. En revanche, on ne sait pas encore très bien comment les enfants utilisent la réparation pour répondre à une injustice.

 

Le recours à la réparation chez l’enfant

Flora Schwartz s’est intéressée à la manière dont les enfants appréhendent la justice et réagissent lorsqu’une personne subit un préjudice5. Cette recherche a testé les contextes dans lesquels les jeunes enfants s'engagent dans des pratiques restauratives comme la compensation des victimes, en ciblant en particulier les caractéristiques des malfaiteurs et des victimes. Trois types d’expériences auprès d’enfants de 3 à 7 ans ont manipulé la dominance sociale, la richesse et le caractère moral de la victime ayant subi une violation de propriété. Ses recherches ont montré que les enfants utilisent autant la punition des malfaiteurs que la compensation pour les victimes, mais avec quelques différences en fonction du contexte social6. Par exemple, les enfants participant à l'étude ont davantage compensé une victime lorsqu’elle était plus pauvre ou encore lorsqu’elle apparaissait plus vertueuse moralement. Dans l'ensemble, ces résultats éclairent la manière dont les enfants ont recours à la compensation pour les victimes comme complément à la punition, plutôt qu'une alternative. Ces informations s’avèrent donc utiles pour mieux comprendre les réactions des enfants face aux injustices observées.

Enfants attentifs

Les pratiques éducatives qui font écho à la justice restaurative

 

Les adultes jouent un rôle essentiel dans l’éducation à une résolution plus pacifique et constructive des conflits, dans le soutien à la réconciliation et la réparation des torts. Si la vie quotidienne est déjà un terrain expérimental, des activités familiales ou scolaires peuvent aider (discussions sur les conflits, cercles de parole, jeux de rôle…).

 

La réparation : une étape dans la résolution des conflits

La réparation au lieu de la punition ou d’excuses imposées et sans sincérité aide à développer les habiletés sociales des enfants. Jocelyne Petit, docteure en Sciences de l’Éducation, propose 6 étapes après un conflit9 :

 

  1. Se calmer
  2. Nommer les sentiments
  3. Comprendre ce qu’il s’est passé, quel est le problème
  4. Reformuler le problème aux enfants pour que tout le monde soit bien d’accord
  5. Demander des solutions aux enfants et éventuellement faire émerger des gestes réparateurs (rendre un service à la personne touchée, reconstruire ce qui a été démoli, faire un dessin…)
  6. Féliciter les enfants pour leur résolution

Cependant, pour pouvoir réparer ses erreurs, l'enfant doit disposer d'une certaine maturité. À partir de 3 ans, il est capable de reconnaître ses torts et d'agir de manière constructive. La réparation doit se faire dans un cadre bienveillant, où l'on reconnaît que l'erreur fait partie de l'expérience humaine et qu'il est toujours possible de la corriger !

 

 

Ce qui rend le conflit dangereux, c’est de s’en éloigner10.

Dominic BARTER Coordinateur du projet de Justice Restaurative du CNV (Communication Non Violente)

Une sanction éducative est une interpellation, elle n’est pas là pour faire plier « l’irrégulier », mais elle est là pour confronter un sujet en devenir à l’exigence d’altérité et lui donner les moyens de renouer avec une victime ou un groupe11.

Eirick PRAIRAT Professeur de philosophie et chercheur

 

La réparation : une alternative à la punition

La punition qui sanctionne un acte inapproprié n’est pas pédagogique, rappelle Valérie Labat, intervenante éducative et pédagogique et Sarah Bach, psychologue clinicienne petite enfance. En effet, la punition apprend à agir par crainte et non par empathie ou respect de l’autre. Elle n’apprend pas non plus à faire mieux la prochaine fois ni à chercher la cause d’un besoin qui peut être inassouvi. Par exemple, au lieu de punir un enfant qui prend les jouets des autres, il vaut mieux lui apprendre à rendre. Au lieu de punir un enfant qui a renversé toutes les caisses de jeux, il vaut mieux lui apprendre à ranger à nouveau.
Sur le site Mes infosbébé12, la Croix Rouge met à disposition des articles et vidéos pour aider à comprendre les comportements de l’enfant et à réagir positivement. Par exemple : « la punition sert-elle à quelque chose ? » ou « la réparation : l’alternative à la punition pour votre enfant ». 

 

Le besoin de réparer est aussi le désir de se réparer (…) L’objet réparé ne revient jamais à l’état antérieur ; il est autre, il est créé à nouveau. C’est en recréant l’objet que le fautif se recrée lui-même. La réparation est, en ce sens, un mouvement de reconstruction du moi (…) La réparation est toujours orientée vers « un autrui »11

Eirick PRAIRAT Professeur de philosophie et chercheur

Deux enfants qui font des messes basses

Les bases des pratiques restauratives

 

Les recherches en sciences comportementales et en anthropologie commencent à mieux comprendre comment l’être humain aborde la réparation, mais il est aujourd’hui difficile de savoir précisément quelle capacité influence le recours à la réparation, rappelle Flora Schwartz, chercheuse en psychologie et neurosciences.

 

L'empathie et la compréhension de l’autre

La recherche scientifique distingue deux formes d’empathie qui se développent durant les premières années de vie de l’enfant :

- L’empathie émotionnelle, qui se définit par la capacité à percevoir et à vivre les émotions d’une autre personne, comme si l’on ressentait ses émotions à sa place.

- L’empathie cognitive, qui est la capacité de comprendre les expériences vécues par autrui (raisons, émotions et réactions).

Il existerait une prédisposition biologique qui pousserait les nouveau-nés à se connecter émotionnellement avec ceux qui les entourent. Des recherches7 montrent que les nourrissons réagissent aux pleurs d’un autre bébé en manifestant des signes de détresse ; un phénomène connu sous le nom de « contagion émotionnelle ». En effet, dès les premiers jours de vie, les bébés sont plus sensibles aux pleurs d’un autre nourrisson qu’à des sons artificiels de pleurs ou de leurs propres pleurs. À partir de 2 ans, les enfants commencent à manifester une grande variété de comportements d’aide, comme consoler, partager ou tenter de distraire une personne. Ceci indique que, dès la petite enfance, ils possèdent une forme d’empathie émotionnelle. En revanche, l’empathie cognitive se développe un peu plus tard, vers l’âge de l’entrée à l’école maternelle, lorsque l’enfant est capable de comprendre plus précisément ce que ressent l’autre et pourquoi il le ressent. L’empathie est susceptible d’influencer la réponse à une injustice en orientant davantage de ressources vers la victime pour sa réparation, mais aussi en alimentant les ressentiments et la volonté de vengeance vis-à-vis d’un malfaiteur, précise Flora Schwartz, chercheuse en psychologie et neurosciences.

 

La capacité d’empathie d’une personne, y compris d’un jeune enfant, est variable selon le contexte, et dépend également des nombreuses choses qui structurent la vie de l’enfant. Par exemple, les tout-petits et les enfants dont on a observé que les parents faisaient preuve de plus de chaleur à leur égard au cours de diverses interactions avaient tendance à être plus empathiques. De même, la façon dont les parents parlent des émotions à leurs enfants semble également impacter le développement de l’empathie7.

 

La culpabilité et le pardon

Si la culpabilité ne doit pas être un frein psychologique au développement de l’enfant, elle est tout de même un moteur d’apprentissage des normes sociales et morales. Selon Martin L. Hoffman, psychologue et chercheur américain, cette émotion clé se développe rapidement, à mesure que l’enfant apprend à distinguer ses propres émotions de celles des autres8.

  • À partir de 3 ans, les enfants montrent des signes de culpabilité lorsqu’ils enfreignent les règles, ce qui les pousse à s’excuser ou à rectifier leur comportement.
     
  • À partir de 5 ou 6 ans, se manifeste la notion de pardon : l’enfant comprend que réparer une relation ne se limite pas à punir, mais inclut également l’expression d’excuses.

À noter qu’au regard de ces repères d’âge, il n’est pas souhaitable d’attendre d’un enfant trop jeune de manifester de la culpabilité ou de demander pardon. Il n’a tout simplement pas accès à ces notions complexes.

À noter également que la capacité de pardonner dépend aussi de l’environnement, car les enfants qui observent des comportements de réconciliation chez leurs parents ou éducateurs ont davantage tendance à les imiter.

 

La culpabilité semble être une émotion utile sur le plan social. Elle est positivement corrélée à l'évitement de la transgression, au désir de réparation ainsi qu’aux comportements pro-sociaux. Les enfants « tyrans », qui intimident les autres, se sentent beaucoup moins coupables et honteux que les enfants « pro-sociaux » lorsque leurs comportements ont causé un préjudice ou de la détresse à autrui8.