Sage-femme référente en psychiatrie périnatale et lauréate de la Bourse de Recherche en Maïeutique en 2021, Marine Dubreucq contribue à améliorer la formation des sages-femmes pour mieux accompagner les parents lors de cette période cruciale de leur vie.

Dans cette interview, elle revient sur les constats, résultats et défis relevés au cours de son étude, et nous présente ses recommandations pour une prise en charge plus holistique et respectueuse des besoins des parents.

Marine Dubreucq

Marine, vous avez obtenu la Bourse de Recherche en Maïeutique en 2021 pour votre projet sur « la formation des sages femmes sur la santé mentale en période périnatale ». Pouvez-vous nous rappeler l’objectif de ce projet et pourquoi avoir choisi cet objet d’étude ?

J'ai fait mon mémoire de fin d'études sur le ressenti des sages-femmes et sur les prises en charge des patients qui avaient présenté des troubles psychiques sévères, où on discernait une formation initiale insuffisante sur ce sujet, tout comme avec mon activité en maternité, où je voyais que les soignants n'étaient pas toujours à l'aise, pas forcément formés sur ces sujets. Cela change maintenant car beaucoup d'écoles de maïeutique révisent leur programme de santé mentale périnatale.

J'ai travaillé en psychiatrie à partir de 2017 pour développer des soins à destination des femmes et aussi des parents qui présentent des troubles psychiques sévères : troubles bipolaires, schizophrénie, trouble de personnalité borderline etc.

Au fur et à mesure, je me suis rendu compte de ce qui manquait à ces parents. J'ai développé ensuite mon projet de thèse « Comment améliorer la formation des sages-femmes pour accompagner au mieux ces parents ? » et, entre-temps, est sorti le résultat de l'Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2013-2015 en 2021 (suicide maternelle, 1ère cause de mortalité dans la 1ère année du postpartum) où ça a été un choc pour toute la profession et où on s'est dit qu’il fallait agir urgemment.

[La nouvelle Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018 sortie en avril 2024 montre une augmentation de ce taux de suicides, qui reste la première cause de mortalité maternelle entre 43 jours à 1 an après l’accouchement].

La mort maternelle par suicide intervient principalement la première année qui suit la naissance, à distance de la naissance, raison pour laquelle c’est assez invisibilisé pour les sages-femmes : elles n’ont en effet pas forcément de retour puisque le suivi s’arrête généralement avant.

On a mené une recherche qualitative, participative, c'est-à-dire qu’on a interrogé des professionnels en périnatalité, des professionnels de pédiatrie, de santé mentale/ psychiatrie et également des parents, soit qui avaient vécu une dépression périnatale, soit qui présentaient des troubles psychiques sévères préexistants, ainsi que des mères autistes, plus à risque de développer une dépression périnatale.

Le but était de croiser les regards de ces différentes populations pour voir s'il y avait des différences de priorité, et c'est effectivement ce qu'on a retrouvé dans nos résultats. On a interrogé 84 personnes, parmi lesquelles 24 parents ou futurs parents, dans leur projet pré-conceptionnel jusqu'à ceux qui avaient déjà des enfants. Cela inclut vraiment la période large des 1000 premiers jours, en incluant le pré-conceptionnel.

 

Avez-vous des premiers constats et premiers résultats ? Pouvez-vous nous en partager quelques-uns ?

On a publié un premier article issu de cette recherche qualitative participative qui est sorti dans European psychiatry. Un des principaux résultats est la différence de priorité entre les professionnels de santé et entre les parents. Les professionnels étaient plus portés sur la prévention de l'apparition des troubles ou de leur aggravation sur la période postnatale. Les parents, eux, étaient plutôt fixés sur un objectif de rétablissement personnel, c'est-à-dire retrouver le pouvoir d'agir, retrouver de l'espoir, redéfinir leur identité après les problèmes de santé mentale.

Notre 2e analyse se concentre sur les besoins de formation. Le but est de développer un programme de formation à destination des professionnels mais aussi des parents et des proches de ces personnes atteintes de problèmes de santé mentale périnataux. On observe d’ailleurs qu’en matière de formation, les attentes des professionnels de santé portent sur les domaines de la connaissance, des compétences, alors que celles des parents sont plutôt sur l’accès à des soins collaboratifs, horizontaux, centrés sur la personne en respectant leurs préférences de traitement.

Nous sommes en train de co-construire avec la Fondation FondaMental cette formation en ligne avec l'association « Maman blues ». Elle serait hébergée sur la plateforme Moodle. On souhaiterait mettre à disposition un tronc commun pour les professionnels et les parents, mais aussi des choses plus spécifiques aux uns ou aux autres, afin de donner du pouvoir d'agir aux parents, de les informer de ce qui existe et de ce qui peut arriver pendant une grossesse, avec un discours qui ne soit pas négatif ou choquant mais au contraire porteur d'espoir, qui leur permette d’entrevoir leur rétablissement. Il servirait aussi de formation initiale ou de formation continue pour les professionnels, avec une évaluation avant/après de son efficacité.

Le but est de déstigmatiser ces troubles, de libérer la parole, à la fois auprès des professionnels, qui, parfois, ont des réticences à accompagner ces parents mais aussi auprès des parents qui eux, ont peur d’en parler par peur d’être stigmatisés. Il y également l’image véhiculée par les médias, par rapport aux troubles psychiques sévères, la schizophrénie ou autre, qui relaient plus souvent des drames, avec des propos assez stigmatisants sur les personnes qui présentent des problèmes de santé mentale, associés à de la dangerosité envers soi où envers les autres ou les 2.

C’est aussi évidemment de pouvoir améliorer l'accès aux soins puisque 79% des suicides maternels sont jugés comme évitable du fait d'un défaut de repérage ou d'un défaut de soins1. A la fois parce que les parents n’en parlent pas ou n'osent pas l'évoquer, parce que la maternité se doit d’être quelque chose de merveilleux au milieu de tout ce qui peut arriver dans le monde… or ce n’est pas toujours le cas.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée/surprise lors de vos entretiens ?

Ce qui m'a le plus marquée, ce sont les témoignages de mamans. On a réalisé 9 focus groups pour les professionnels mais nous avons interrogé les mères individuellement, lors d’entretiens de plus de 2h parfois, avec des témoignages vraiment marquants.

Je me souviens d’une maman de jumeaux qui nous a dit : « Je ne dormais pas. J'ai tapé à 2h du matin sur Internet : « Mère désespérée, cherchant à mourir » ». Elle est heureusement tombée sur l'association « Maman blues », qui l’a rappelée le lendemain, qui l’a orientée vers les soins. Mais notre but, c’est cela : qu'il n’y ait plus aucune femme qui soit obligée de taper ce genre de chose sur Internet mais qu’elle puisse tomber directement sur des professionnels de santé formés et trouver de l'aide plus rapidement possible.

Un autre souvenir, ce sont des mères qu'on a interrogées, dont les enfants avaient 6 ans à présent et qui commençaient à peine à sortir de cette dépression, par manque d'aide, de soutien. On voit clairement qu’en absence de soutien, ce sont des choses qui durent sur des années et qui marquent ces femmes, profondément dans leur quotidien et dans la relation avec leurs enfants. Il faut réduire au maximum ces conséquences-là, en prenant en charge le plus tôt possible ces troubles.

 

Quelles sont selon vous ce qui manque dans la formation des sages-femmes pour mieux accompagner cette période de vulnérabilité dans la vie des femmes ?

Ce qui manque c'est comment gérer la détresse émotionnelle d'une femme qui va vous parler d'idées suicidaires : comment recevoir ça aussi à titre personnel parce que ce n’est pas toujours simple. Comment aborder la question ? Il y a certes des outils, notamment l'échelle périnatale d'Édimbourg qui est un outil de screening, ou les questions de Whooley mais comment les présenter aux patients ? Je prends pour exemple l'évaluation des antécédents de violence, où avant, on ne posait pas ces questions parce qu'on n’était pas formées. Or maintenant il y a eu beaucoup de formations, des DU qui ont été créés et on sait qu’on va plus facilement pouvoir y répondre parce que c’est aussi faire face à la détresse de certaines femmes qui nous rapportent des choses très compliquées.

Là c'est pareil, c'est aussi pouvoir être formé là-dessus, pour justement savoir à la fois comment répondre, comment orienter, mais aussi comment se protéger soi. La dépression est une maladie comme les autres, elle n’est pas moins importante, puisque c'est la première cause de mortalité maternelle.

Il y a déjà les DU et DIU de psychopathologie pendant la grossesse qui existent, mais c'est aussi pouvoir apporter de la formation qui soit commune avec la psychiatrie périnatale de pouvoir déstigmatiser aussi ses troubles, que ce soit auprès des professionnels et des parents. Mais aussi que les professionnels se sentent plus à l'aise quand même pour aborder ce sujet parce que ça fait partie de nos compétences telles qu’elle sont décrites dans « l'International Confederation of Midwives », où il est clairement énoncé que les sages femmes doivent pouvoir dépister ces troubles en post-partum et accompagner les parents. On est repéré par les parents comme des professionnels de première ligne, avec une relation qui se crée avec les sages-femmes qui est différente d’avec un médecin ou autre.

 

Votre recherche s’inscrit dans le cadre de « la Commission des 1000 jours de bébé » lancée par le gouvernement, qui s’est accompagnée des « 1000 jours blues ». Vous qui êtes sur le terrain, avez-vous constaté des avancées concrètes grâce à cette commission ? Si oui, lesquelles ? Avez-vous le sentiment que l’État a pris le problème de la santé mentale à bras le corps ?

La politique des 1000 jours a permis de montrer l'importance de ce thème et cela a sensibilisé les gens : le fait d’en parler de plus en plus a fait réaliser aux professionnels qu’il leur fallait être formé !

Il y a également eu beaucoup de financement de structures en psychiatrie périnatale partout sur le territoire, et la mise en place de personnes référentes « 1000 jours » dans plusieurs maternités.

Sur le département de la Loire où j’exerce, le réseau périnatal ELENA, en lien avec les services de psychiatrie du Pr Catherine Massoubre a fait un gros travail sur la mise en place du dépistage systématique de la dépression périnatale. Le réseau Aurore aussi, sous l’impulsion du Pr Corinne Dupont, travaille aussi sur la formation pour la mise en place de l'entretien postnatal précoce.

Mais il faut aller encore plus loin ! Des études montrent que la fréquence de la dépression périnatale, si elle n'était liée qu’à des facteurs neurobiologiques (hormones), serait égale partout dans le monde. Or on se rend compte qu’elle est proportionnelle aux inégalités de genre, et beaucoup plus faible dans les pays du Nord de l'Europe où il y a les congés parentaux de même durée, avec une répartition des tâches plus égale que dans les pays où il y a des grosses inégalités2.

L'application des « 1000 jours » n'est peut-être pas allée jusqu'au bout de de ce qui aurait pu être fait. C’est la raison pour laquelle pour pouvoir aborder ces sujets sans tabou, , pour diminuer cette souffrance en période périnatale chez les femmes, nous développons des outils numériques en santé avec la Fondation FondaMental, dont un site internet d'information sur les problèmes de santé mentale en période périnatale et une application mobile aussi sur la coordination de parcours de soin, qui devraient voir le jour en septembre.

 

Quelle est votre souhait pour la santé mentale périnatale ?

Que la santé mentale périnatale fasse partie des soins courants en périnatalité et intégrée de la même manière que la contraception, que la prévention de la mort subite du nourrisson ou l’allaitement.

Que ce soit abordé de façon déstigmatisée et que les parents ne connaissent pas cette errance pour trouver des structures de soins avant qu’il ne soit trop tard.

Que la sage-femme puisse se sentir en confiance et à l'aise pour les orienter vers des soins parce que y a des choses qui existent.

Ce serait dans un monde idéal, bien sûr, on sait bien qu’il n’y a pas assez de sages-femmes, plus assez de soins, plus assez de médecins, mais il faut y croire et se battre !

 

 

Sources

1Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) 2016-2018

2 Martínez P, Nazif-Munoz JI, Rojas G, Magaña I. Structural gender inequalities and symptoms of postpartum depression in 40 countries. J Affect Disord. 2022 Jan 15;297:381-385. doi: 10.1016/j.jad.2021.10.014.